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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées
Autoren: Jeanne Bourin
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encore écrit que quelques poèmes, rectifia-t-il en saluant ma mère avec déférence. Mais je suis bien décidé à consacrer ma vie aux muses !
    — Nous possédons déjà, il me semble, certains fort bons poètes en ce siècle, monsieur, répondit ma mère qui était grande liseuse. Je vous avoue que Clément Marot et Mellin de Saint-Gelais ne sont pas sans attrait pour moi.
    — Il ne me reste donc qu’à vous prouver, madame, qu’on peut faire mieux encore. Foin des vieilles lunes ! J’entends galoper librement sur des chemins inconnus et nouveaux !
    Une flamme d’orgueil brilla soudain dans les yeux clairs qu’il sembla détourner de moi à regret.
    — Je serai heureuse de lire vos œuvres, monsieur, quand elles existeront, répondit ma mère sur un ton de bonne compagnie, sans qu’on pût savoir si elle se moquait ou non.
    Elle ne laissait jamais percevoir que ce qu’elle jugeait bon de ses sentiments et ne se départait qu’en de bien rares occasions d’une courtoisie sans chaleur véritable qui la protégeait comme un mur.
    — Tu auras une autre lectrice avertie en cette jeune personne, Ronsard mon ami, reprit Jacques de Cintré en me désignant. Cassandre a reçu une solide formation. Elle est pétrie de grec et de latin !
    Je savais que le frère de Catherine, comme la plupart de nos voisins, n’attachait pas grand prix à de semblables talents. Il lui paraissait sans doute opportun d’en faire mention devant son cousin. Celui-ci, je l’appris plus tard, n’attendait que cette occasion provoquée sur sa demande pour s’adresser à moi.
    — Puis-je vous féliciter pour la grâce avec laquelle vous venez d’interpréter ce Branle de Bourgogne ? demanda-t-il en me souriant. Vous chantez et dansez à ravir. Parmi vos compagnes, on ne voyait que vous.
    — Elle sait aussi par cœur le Canzoniere de Pétrarque, assura Catherine qui me tenait par la main.
    — Il est vrai que j’aime la poésie et la musique plus que tous les autres arts, dis-je en émergeant enfin de ma nuée. Je les aime parce qu’elles me font rêver…
    — Il n’y a pas de poésie qu’italienne, reprit Ronsard. Nous sommes tout aussi capables, en France, de composer des œuvres immortelles. Dieu fasse que se lève bientôt dans ce pays un poète nouveau qui surpasse les auteurs étrangers !
    C’est ainsi que commença notre première conversation. Elle se prolongea assez longtemps. Beaucoup d’autres devaient la suivre. Je l’ignorais, mais je puisais déjà dans l’attention que me portait ce jeune poète qui parlait avec tant d’ardeur de sa vocation et de l’avenir, une assurance toute neuve en mon propre jugement. Entre nous, dès ce soir-là, se nouèrent des liens de l’esprit que rien ni personne n’a jamais pu dénouer…
    Durant cet entretien, il fut à plusieurs reprises question de Pétrarque. Il ne l’appréciait qu’assez peu. Je le prisais fort. D’où des échanges éloquents de part et d’autre, des arguments contraires exposés avec conviction. Je crois pouvoir me vanter de l’avoir fait changer d’avis par la suite. Je ne vois aucune autre explication à un retournement qui a fait jaser, ici et là…
    Pour en revenir à la soirée de Blois, je dois avouer que si je me suis plu à m’entretenir avec le cousin des Cintré, je ne me suis pas privée de danser pour autant ! Avec lui, bien sûr, mais aussi avec pas mal d’autres. Pour la première fois de ma vie, j’attirais à moi des jeunes gens qui n’avaient jamais encore prêté attention à ma modeste personne. Soudain, ils me découvraient, j’existais pour eux. Ils paraissaient sensibles à ce qu’ils appelaient mon charme, à une sorte d’attraction qui devait émaner de moi. Ils me traitaient enfin en proie désirée et non plus en quantité négligeable.
    C’était comme si le très vif intérêt que me manifestait Ronsard m’avait transformée tout d’un coup, comme si le regard dont il m’enveloppait magnétisait le regard des autres cavaliers.
    Exercer de prime abord un tel pouvoir au sortir des années obscures de la puberté est grisant comme l’eau ardente. Il me semblait que j’avais des ailes, que je m’envolais vers un destin radieux en laissant derrière moi la dépouille étriquée de l’adolescente que j’étais encore un moment plus tôt.
    Je plaisais, j’avais du succès auprès des hommes, le rêve devenait réalité, l’avenir était à moi !
    Le bal terminé, en regagnant notre
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