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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées
Autoren: Jeanne Bourin
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avions toutes plus ou moins voisiné à un moment ou à un autre. Filles des bords de la Loire, nous avions maintes occasions de nous rencontrer au cours des réunions qui parsemaient nos existences. Beaucoup étaient nobles. D’aucunes, comme moi, descendaient de familles bien en Cour pour des raisons diverses. Ce qui nous rapprochait en un pareil moment, était l’émoi, la timidité, l’appréhension, partagés.
    Pour m’efforcer au calme, je tentai de respirer lentement, profondément. Je cessai de plonger mes regards fascinés dans la foule qui allait bientôt me juger pour contempler la nuit d’avril par une des fenêtres grandes ouvertes donnant sur la cour du château. Ronde comme une perle monstrueuse, la lune nacrait les toits de l’antique forteresse des comtes et la façade plus élégante de l’aile bâtie sous le roi Louis XII. Tout un monde de gardes, de pages, de domestiques, s’affairait dans l’ombre bleutée que trouaient par endroits des lueurs de torches…
    Des accords de viole et de harpe m’arrachèrent à ma contemplation. On nous faisait signe d’avancer.
    Il était entendu que nous devions d’abord nous présenter en groupe devant la famille royale, puis que, afin d’agrémenter la soirée, nous irions ensuite, l’une après l’autre, saluer le Roi, Madame la Dauphine et Monsieur le Dauphin, avant d’interpréter chacune à notre façon, un morceau de musique longuement répété à l’avance.
    Sur un air vif et entraînant, nous nous dirigeâmes vers le fauteuil de Sa Majesté qui était entourée d’un groupe serré de dames, de seigneurs, d’écuyers et d’officiers.
    Je marchais sur un nuage. Tout se brouillait devant mes yeux. Je ne percevais plus qu’un brouhaha indistinct, qu’une violente odeur de musc et d’ambre gris. Je ne distinguais plus qu’une masse brillante et balancée de têtes, d’épaules, de regards curieux et peut-être malveillants…
    Serrant sur ma poitrine le luth dont j’allais avoir à tirer des accents que je désespérais soudain de retrouver, je suivis mes compagnes comme dans un rêve. Je ne conserve aucun souvenir précis de ces instants que j’attendais depuis si longtemps avec une telle impatience ! Dans mon esprit tout demeure flou, si peu réel que c’est à se demander si j’ai réellement vécu ces minutes sans poids…
    Ce qui semble certain, c’est que je me suis acquittée de façon satisfaisante de ce que j’avais à faire. J’exécutai comme un automate le « Branle de Bourgogne » que m’avait appris mon maître de chant, mais on me dit par la suite que je m’étais comportée avec grâce. En m’accompagnant de mon luth je chantai donc et je mimai la mélodie un peu vieillotte, mais sensible et tendre, que ma mère m’avait conseillé de choisir.
    La voix bien placée, mais les jambes tremblantes, je conservai durant le temps que dura mon interprétation, le sentiment que je ne parviendrais jamais au bout, que j’allais défaillir, m’écrouler devant le Roi de France, dans le déploiement soyeux de mon vertugade tout neuf…
    Dieu merci, ce scandale me fut épargné. Je pus rejoindre dignement les autres demoiselles, sans pour autant me sentir délivrée de l’impression d’irréalité dans laquelle je demeurais plongée.
    Ce ne fut donc pas dans ma propre conscience, mais, un peu plus tard, quand chacune en eut terminé, que j’eus l’occasion de lire dans un regard d’homme les raisons que je pouvais avoir de me sentir tranquillisée.
    Je venais de rejoindre ma mère et les amis qui l’entouraient, quand Jacques de Cintré se fraya dans la presse un chemin jusqu’à notre groupe. Il était accompagné d’un jeune écuyer de la Maison du Roi.
    — Permettez-moi, madame, de vous présenter Pierre de Ronsard, gentilhomme vendômois, un mien cousin, poète de surcroît, dit Jacques en s’inclinant devant ma mère. Il mûrit de vastes projets et brûle, si on l’en croit, du désir de rénover la poésie française.
    Je dévisageai discrètement le nouveau venu. Grand, bien découplé, la barbe blonde, plus claire que les cheveux châtains, le nez aquilin, la bouche gourmande, mais aussi une manière particulière de se tourner du côté droit quand on s’adressait à lui. Je sus plus tard qu’une maladie cruelle, contractée en Allemagne, l’avait conduit quelques années auparavant aux portes de la mort. Elle l’avait laissé, comme il disait lui-même, à demi sourd.
    — Je n’ai
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