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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées
Autoren: Jeanne Bourin
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Je connais à présent le secret de Ronsard. Il aura fallu sa mort pour que les écailles me tombent enfin des yeux, pour que je mesure à sa juste valeur l’ampleur du désastre…
    Après un souper durant lequel je n’ai pu goûter à rien, nous avons repris notre conversation.
    Quand Jean Galland m’a quittée, il n’était pas loin de minuit. L’heure du couvre-feu était depuis longtemps passée. Mon visiteur était descendu chez des amis blésois habitant comme moi paroisse Saint-Honoré. Il n’avait heureusement que peu de chemin à faire pour regagner leur hôtel.
    Je me suis alors couchée par habitude et n’ai presque pas dormi. Je ne dors toujours pas. Un chagrin sans violence mais lésant néanmoins les fibres les plus intimes de mon être m’habite. C’est comme une eau noire et calme qui recouvrirait des abîmes.
    À présent, je réfléchis. Je me remémore tout ce que vient de me confier Jean Galland. Il m’a permis d’accéder à l’envers du miroir. Pour la première fois, je peux envisager le cheminement de la vie de Pierre et de la mienne sous un jour qui ne m’est plus uniquement personnel.
    Je recherche en même temps les témoignages de ma mémoire pour procéder à des rapprochements. Le voile se déchire… Je découvre de manière inexorable et alors qu’il est trop tard, le véritable sens de bien des événements qui me semblaient jusqu’ici désordonnés. De la confusion qui n’a pas cessé de présider à nos destins tourmentés, émerge enfin, grâce au testament oral de Pierre, un ensemble cohérent. Aussi douloureux, d’ailleurs, que cohérent. Aussi déchirant qu’irrécusable…
    Je suis tirée du mauvais sommeil qui m’a vaincue malgré tout par les jappements de mon petit chien. Afin d’attirer mon attention, il s’est dressé sur ses pattes de derrière et griffe mes draps.
    Un bruit inhabituel de voix monte en effet du rez-de-chaussée. Mes servantes semblent s’agiter davantage et plus tôt qu’à l’ordinaire.
    Je m’assieds sur ma couche. Je prends Turquet entre mes bras et caresse avec application son pelage soyeux.
    La lumière paisible du mortier rempli de cire blanche que j’ai coutume de tenir allumé chaque nuit dans la ruelle de mon lit, éclaire l’intérieur de mes courtines en tapisserie fermées sur ma solitude. Les draps de toile fine, la couverture de gorge de renard, le livre d’heures posé sur une sellette à mon chevet, la boule de poils lustrés qui se blottit entre mes bras, tout évoque la paix que je me suis efforcée d’établir autour de moi depuis que je suis séparée de mon mari. Bien avant qu’il ne meure…
    En m’atteignant au plus secret, la souffrance née du nouveau deuil dont je viens d’être informée a dissipé l’illusion de ma fausse quiétude…
    Pour regarder l’heure à mon horloge de table, j’entrebâille les tentures en points de Hongrie qui me protègent des courants d’air.
    Le cliquetis des anneaux de bois, joint aux jappements de Turquet, réveillent Guillemine, ma chambrière, qui dort sur la couchette dressée chaque soir au pied de mon lit.
    Elle a le même âge que moi. Nous vieillissons ensemble et il est hélas certain que, la cinquantaine passée, on ne repose plus comme durant les années de jeunesse.
    — Entends-tu ? Il n’est pourtant que six heures.
    Guillemine se lève, enfile une chemise de chanvre, une jupe à larges plis, un caraco serré à la taille et s’enveloppe dans l’épais fichu de laine dont elle couvre ses épaules au saut du lit. Puis elle renoue d’un tour de main le chignon gris qu’elle défait au coucher et se coiffe de sa cornette de lin.
    Le cœur endeuillé, je regarde machinalement cette grande femme maigre, aux prunelles d’un vert presque transparent, avec laquelle j’ai été élevée et que je connais si bien. Elle parle peu mais agit toujours avec diligence et efficacité. Je songe, qu’en définitive, j’ai passé davantage de temps en sa compagnie qu’en celle des êtres que j’ai le plus aimés…
    — Je vais voir de quoi il retourne, dit-elle avant de sortir.
    Je sens la fatigue de la nuit blanche s’insinuer dans mes os, mes traits se tirer et une tristesse grelottante suinter du fond de mon cœur comme une source glacée.
    Guillemine revient, la mine soucieuse.
    — Un chevaucheur nous est arrivé de Pray, dit-elle. Votre fille l’a envoyé en pleine nuit pour vous mander de vous rendre sans tarder auprès d’elle. Elle a besoin
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