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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées
Autoren: Jeanne Bourin
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de vous. Il est arrivé malheur au petit François. Sa nourrice l’a laissé tomber dans un cuveau d’eau brûlante. On craint pour sa vie.
    Dieu ! Après Pierre, mon petit-fils ! Non. Pas lui ! Pas celui-là ! Pas cet enfant qui n’aura trois mois que dans quelques jours ! Il nous est né au début d’octobre, fruit tant attendu de l’union tardive de ma chère fille. Fruit d’autant plus précieux !
    Je pose Turquet sur la couverture et sors de mon lit sans me préoccuper du froid qui étreint soudain ma peau nue.
    — Passe-moi mon manteau de nuit. Celui qui est fourré. Mes bas-de-chausses les plus épais, mon fichu de tête. Je vais aller voir ce messager.
    Je chausse en me hâtant mes mules de velours, revêts l’ample vêtement que me tend Guillemine et m’élance, mon chien sur les talons, vers la grande salle du rez-de-chaussée. Je tremble non de froid mais de peur.
    L’homme me confirme les dires de ma chambrière. Le petit François est gravement brûlé et son état semble inquiétant au médecin de Vendôme que ma fille a appelé.
    Je connais bien ce docteur Cartereau qui prodigue ses soins depuis des années et avec beaucoup de dévouement, en dépit de résultats inégaux, à la belle-famille de Cassandrette. Je crois qu’on peut lui faire confiance, mais, dans un cas comme celui-ci, j’aurais préféré qu’on eût fait venir une guérisseuse…
    De mon côté, j’ai souvent soigné les enfants de mon frère, ceux de nos paysans et ma propre fille. Je tiens de ma mère des pratiques médicales éprouvées que j’utilise pour moi-même et mes gens. Dans nos familles, les femmes apprennent dès l’enfance à soulager les maux de leurs proches.
    — Je pars, dis-je. Je peux être utile là-bas. Vous, Basile, buvez du vin chaud à la cuisine, mangez ce que vous voudrez et retournez à franc étrier vers Pray. Annoncez à votre maîtresse mon arrivée très prochaine. Je vais me préparer au plus vite pour me rendre chez elle avant la fin du jour.
    Il y a un peu plus de cinq lieues de Blois au château de Pray où habitent depuis leur mariage ma fille et son époux, Guillaume de Musset. Je leur ai laissé ce domaine qui me venait de mon défunt mari et où je n’avais pas que de bons souvenirs.
    Par beau temps, les mulets de ma litière mettent entre quatre et cinq heures pour m’y conduire. La neige fondue qui tombe depuis plusieurs jours et les risques de verglas retarderont certainement leur marche. La route sera lente et difficile.
    Peu importe. Depuis la naissance de Cassandrette, l’amour maternel tient dans ma vie la première place. Mon mari s’en plaignait jadis. Ronsard en a souffert, lui aussi…
    Quoi qu’il en soit, ce ressort-là demeure pour moi le plus puissant de tous. Un appel de ma fille me précipiterait au bout du monde. Ce n’est pas un mauvais chemin qui me retiendra.
    Autant la mort de Pierre m’a frappée de stupeur, engourdie de chagrin, repliée sur l’exploration désolée de mon âme, autant le danger couru par mon petit-fils me pousse à réagir, à lutter pour tenter de l’arracher à une fin que tout en moi repousse avec révolte.
    Je m’élance vers le cabinet attenant à ma chambre pour y prendre le sac de maroquin où je range les fioles qui contiennent des élixirs divers, pommades bienfaisantes, onguents, pansements, charpie, et aussi certaines poudres qui font dormir ou soulagent la douleur. Je m’assure que rien n’y manque et y rajoute deux burettes d’huile de millepertuis, souveraine contre les brûlures.
    Durant ce temps, une grande effervescence s’est emparée de ma maison. Valets et servantes s’affairent. Mes deux coffres de voyage en cuir clouté, mon nécessaire de toilette en tapisserie sont remplis pendant que je m’habille après une toilette rapide. Guillemine m’aide. Elle me force, puisque je ne veux pas manger, à avaler une tasse de lait chaud miellé et insiste pour que nous emportions des provisions de bouche. Elle ne cesse de grommeler que c’est folie de partir ainsi, sur des routes rendues dangereuses par les intempéries et infestées de loups, quand ce n’est pas de huguenots !
    Sans vouloir l’écouter, je fais mes recommandations habituelles à l’intendante de notre logis, Louise Cantepye, à laquelle je laisse le soin de gérer choses et gens durant mes absences, puis je gagne la cour.
    Nos préparatifs ont pris peu de temps. Un jour opaque succède péniblement à la nuit quand je monte dans
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