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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées
Autoren: Jeanne Bourin
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religion, je fus consternée de constater à quel point Pierre était contaminé par cette peste de l’âme… Pour être tout à fait sincère, je dois avouer que je fus aussi navrée de découvrir dans ces écrits la preuve d’un attachement assez puissant à l’égard d’une autre pour avoir nécessité pareilles manœuvres. Même en portant au compte de sortilèges imposés les sentiments de Ronsard envers Hélène, il ne lui en avait pas moins fallu recourir à des opérations magiques avant d’en être débarrassé !
    En dépit de ce nouveau désappointement, je fus surtout sensible au cri déchirant qui terminait son poème :
     
    Adieu Amour, adieu tes flammes,
    Adieu ta douceur, ta rigueur,
    Et bref adieu toutes les dames
    Qui m’ont jadis brûlé le cœur.
     
    Dans ma belle chambre soyeuse de Courtiras, au fond du grand lit où je dormais solitaire depuis des lustres, entre ces draps blancs où je n’avais jamais reçu Pierre, je pleurai longtemps sur le gâchis irrémédiable de nos vies…
    Contraint et forcé, mon pauvre amour avait donc renoncé une fois pour toutes aux délices amoureuses dont il avait tant espéré et qui l’avaient si durement déçu !
    S’il conserva jusqu’à la fin une forte rancune envers Hélène qui n’avait pas pu ou pas voulu répondre à son désir, c’est sans doute parce qu’étant la dernière, elle incarnait à ses yeux toutes les autres figures féminines qui avaient traversé son existence sans jamais apporter de réponse à l’attente émerveillée de sa jeunesse…
    Grâce aux confidences de Jean Galland, je sais maintenant que Pierre n’éprouva en réalité pour Hélène de Surgères que le suprême sursaut d’un cœur lassé, semblable au dernier reflet d’un soleil déclinant. Il me faut néanmoins admettre que cette passion sur commande ne lui déplut pas. Elle lui permit une ultime fois de jouer le jeu d’amour avec une femme, même si elle le dépouilla des quelques pauvres illusions qui lui restaient.
    Au dire de son ami, il ressentit une sorte de soulagement après avoir quitté le service d’une belle qui lui avait si peu accordé, mais ce soulagement devait se doubler d’une immense nostalgie…
    Nostalgie comparable à celle que j’éprouve à présent. Ne suis-je pas à l’origine de tant de désillusions ? Si Pierre a fini par abandonner la course, par renoncer avec une telle amertume à poursuivre la quête qui était à ses yeux le plus désirable des biens, n’est-ce pas en majeure partie à cause de moi ? De moi qui fus la première, de moi dont il avait tant attendu, tant espéré !
    Je n’ai pas été capable de lui faire le don total, le don sans réserve de mon être. J’ai toujours mesuré mes offrandes.
    Un sanglot me monte à la gorge.
    Pierre ! Je n’ai pas su t’aimer ! Par timidité, par pusillanimité, je suis passée au large de tes bras ouverts !
    En revivant depuis ce matin chaque étape de notre long parcours, de ton pèlerinage éperdu vers l’Amour, j’en suis parvenue à une vision plus exacte de mon propre cheminement : j’ai tout gâché, tout perdu ! Je n’étais pas celle que tu aurais dû aimer. J’étais bien trop raisonnable, bien trop prudente, bien trop peureuse !
    Je renverse la tête sur le dossier de mon siège et laisse les larmes affluer.
    Seule avec moi-même, je me trouve confrontée à une évidence qui me tord le cœur : j’ai manqué ma vie et fait manquer à Pierre la sienne !
    Il m’aura fallu sa mort pour comprendre que cet amour qu’il m’a voué tout au long de son existence, que cette passion fougueuse, repentante, puis, enfin, si attentive, l’aura empêché de trouver ailleurs la femme qui aurait partagé bravement sa destinée, la femme qui n’aurait pas craint, en vivant avec un tonsuré, d’affronter réprobation et anathème…
    Voici un moment, je me félicitais d’avoir amené Pierre à se dépasser lui-même en renonçant à tout commerce charnel entre nous. Je me croyais justifiée parce qu’il m’avait rendu hommage en reconnaissant la suprématie de l’esprit sur le corps… Mais ai-je seulement songé un instant à m’oublier, moi aussi, en m’élançant à sa suite vers les cimes qu’il me désignait ? Ai-je jamais pensé à rejeter mes peurs pour prendre la main qu’il me tendait dans l’espoir que je le suive là où il entendait me conduire ?
    N’ai-je pas péché par égoïsme autant que par tiédeur ?
    J’essuie mes
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