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Les amours blessées

Les amours blessées

Titel: Les amours blessées
Autoren: Jeanne Bourin
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le résultat lui importait.
    Pour moi aussi, ces vers furent utiles. Ils m’éclairèrent sur la réalité d’un entraînement dont l’expression était tellement parfaite, à cause de l’art consommé acquis avec l’âge par son auteur, que cette beauté même aurait pu me faire douter de la survie de notre pacte secret. La caricature des liens si précieux qui nous unissaient tous deux, me blessait et me fut très difficile à supporter. En dépit des assurances écrites d’une fidélité de principe que mon ami multipliait à mon égard, je traversai encore bien des moments de détresse durant la période des amours de Ronsard et d’Hélène…
    Pendant près de sept ans, il accepta de connaître les affres d’un homme sur le retour aux prises avec une femme jeune, froide, donneuse de leçons et plus portée sur les doctes discussions que sur les simples joies de la chair.
     
    En choisissant l’esprit vous êtes mal aprise,
    Qui refusez le corps, à mon gré le meilleur…
    Vous aimez l’intellect, et moins je vous en prise :
    …
    Aimer l’esprit, Madame, est aimer la sottise.
     
    lui dit-il avec sévérité dans un sonnet. Cette demi-lucidité ne suffisait cependant pas à le tirer de son aveuglement volontaire. Comment l’aurait-il pu ? Ne tenait-il pas à se persuader à n’importe quel prix que le temps d’aimer n’était pas encore clos pour lui ?
    Je sentais pourtant le découragement, la lassitude, s’infiltrer peu à peu dans ce cœur dont je n’ignorais aucun des ressorts. Quand je tombais sur de tels aveux, j’étais partagée entre une tendre compassion pour la lutte d’arrière-garde à laquelle se livrait ainsi un homme dont je suivais depuis des années le poignant combat contre le vieillissement, et l’irritation de le trouver toujours aussi déraisonnable.
     
    Je m’enfuis du combat, ma bataille est défaite,
    J’ai perdu contre Amour la force et la raison :
    Ja dix lustres passés, et ja le poil grison
    M’appellent au logis et sonnent la retraite.
     
    assurait-il en un moment de clairvoyance, mais, très vite, de nouveaux espoirs l’en éloignaient.
    Il suffisait d’un sourire, d’une lettre, d’une pression de main, pour le livrer sans défense aux chimères qui lui permettaient de poursuivre son rêve…
    La cour quasi officielle que Pierre continuait contre toute sagesse à faire à cette Hélène dotait la jeune femme d’un prestige qui lui valait les hommages de tous les poètes à la mode.
    Comme il l’avait voulu, Pierre donnait toujours le ton. Pourtant, il s’en irritait :
    « Votre plus grande gloire un temps fut de m’aimer ! » lui lancera-t-il un jour avec rancune.
    Mécontent de lui et des autres, il repartait alors pour Croixval ou pour Saint-Cosme, y résidait un temps, s’occupait de ses jardins, de ses fruits, de ses salades, puis revenait à Paris où la Cour l’appelait.
    Vint le moment où il se lassa de relations comparables aux giboulées de mars. L’indifférence, le manque de tendresse, la pédanterie de son Hélène achevèrent de décourager Ronsard.
    Il lui fallut enfin se rendre à l’évidence : c’en était fini pour lui de l’amour. Du moins tel qu’il l’entendait, tel qu’il l’avait en vain poursuivi tout au long de ses jours.
     
    Amour, je prends congé de ta menteuse école
    Où j’ai perdu l’esprit, la raison et le sens,
    Où je me suis trompé, où j’ai gâté mes ans,
    Où j’ai mal employé ma jeunesse trop folle…
     
    Déçu, blessé, écœuré, il décida de se délivrer de l’envoûtement qui avait présidé à son mariage mystique avec une personne dont il ne voulait plus. Il procéda donc, sur le mont Valérien, à des incantations destinées à l’en délivrer. Partant du principe qu’on ne peut défaire la magie que par la magie, il brûla du soufre et de l’encens, versa de l’eau d’une aiguière sur la pente de l’éminence afin que son ensorcellement s’écoulât loin de lui comme l’onde sur la terre, délivra des oiseaux captifs pour être libéré comme eux, et incinéra finalement tout ce qu’il tenait d’Hélène : mèches de cheveux, gants, portrait, lettres…
    J’appris la réalité de ces pratiques par une ode intitulée Magie ou Délivrance d’Amour, insérée dans l’édition suivante des Œuvres.
    Tout en sachant combien notre époque est superstitieuse, dans l’exacte mesure où la foi s’est affaiblie en ces temps où l’on se massacre au nom de la
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