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L'épervier de feu

L'épervier de feu

Titel: L'épervier de feu
Autoren: Pierre Naudin
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bonsoir à la cité. La mule qui tirait ce chargement funèbre était couverte d’un houssement rouge, sans doute pour prévenir les passants de la nature du charroi. Deux porteurs de flambeau la précédaient. L’odeur exécrable des fumées et pourritures mêlées incommoda si fort le Noiraud qu’il joua du sabot et faillit ruer.
    — Holà ! cria l’un des archers en s’approchant d’Ogier. Où allez-vous ainsi ?
    — Nous venons d’Abbeville et nous cherchons un gîte.
    — La cité n’est point hospitalière !
    — C’est vrai. Mais nous sommes las.
    — Vous trouverez aisément, tout droit, Le Grand Ours…, dit une des filles, – une grosse cagne aux cheveux rouges, nue sans doute sous sa houppelande de peau de mouton, ceinturée d’un cuir aussi large que sa main. Et si vous voulez du plaisir, on peut…
    Elle aperçut Rosamonde et, sur un ton gourmé :
    — Je vois que vous êtes pourvus à demi. Puis-je me joindre à vous ?
    Ils passèrent. La rue vide empestait. Des lumières jaunâtres fluaient à travers les cœurs et les trèfles des contrevents. On entendait parfois des pleurs, une prière. Les échoppes semblaient closes depuis toujours.
    — Nous nous jetons peut-être dans la gueule du loup, mais qu’importe ! dit Étienne. J’ai mal.
    — Je vous soignerai, dit Rosamonde. J’aurai plus d’aise à le faire que ces deux derniers jours.
    Une placette se présenta, au fond de laquelle se dressait une maison plus haute que large. Au rez-de-chaussée, des fenêtres décloses révélaient une salle enfumée où des ombres se mouvaient. Ogier mit pied à terre et entra.
    Deux douzaines d’hommes menaient un grand tumulte pour le plaisir, sans doute, de s’en savoir capables. Sergents, manants, portefaix et marchands, après avoir liché pour oublier la peste, s’affrontaient en des joutes verbales obstinées dont aucun ne sortait vainqueur. Une frénésie de gesticulations et de convictions les opposait d’une table à l’autre, et de celles-ci au comptoir, dans la brume dégagée par l’âtre rutilant. L’odeur que leur haleine et leurs chairs dégageaient fut presque aussi pénible à Ogier que celle qui flottait à l’entour des bûchers.
    « Un coupe-gorge, sans doute », se dit-il. « Mais tu ne peux reculer. »
    Quatre grosses lanternes illuminaient les faces de la chalandise [96] et celle de l’hôtelier, un Hercule, aux cheveux abondants, décolorés par une canitie précoce. Il était habillé ainsi qu’un forgeron – chemise et tablier de cuir – et portait aux poignets des bracelets de basane. Ogier lui trouva une face de dogue.
    « S’il n’était aussi haut et chenu, je le prendrais pour Guesclin ! »
    Il n’y avait plus un bruit, maintenant, hormis celui des respirations oppressées.
    « Un autre que moi rebrousserait… Or, je suis las… Nous sommes las… Et de plus nous savons nous défendre. »
    Ogier, d’un pas aisé, sinua entre les tables, évita un croc-en-jambe et s’adressa au colosse :
    — Avez-vous deux chambres, de la nourriture pour trois et du fourrage pour quatre ?
    — Avez-vous des écus ?
    Ogier brièvement étudia l’aubergiste. Un visage mafflu, des yeux de perverti, une bouche à la lèvre supérieure tranchée, naguère, par une lame. Un malandrin sans doute. Il se pouvait qu’il eût servi dans les armées royales. Ces deux suppositions n’étaient pas incompatibles.
    — J’ai des écus.
    — D’où venez-vous ?
    — Nous venons d’Abbeville et allons à Coutances. Vous n’êtes point prévôt pour que j’en dise plus.
    Il y eut des rires. Ogier se retourna, défiant toutes les faces poisseuses aux regards fixés sur lui, inventoriant, ensuite, la gobeleterie, les chopes de grès, les hanaps bosselés comme de vieilles cuirasses, la longue procession des fioles et des pichets ainsi que les tonneaux et tonnelets empilés le long d’un mur, dans le sens des longues solives cornées de suie. Existait-il de meilleures hôtelleries ? Évidemment. Cependant, il était las ; il avait faim. Rosamonde était fourbue. Étienne avait du mal à se tenir en selle.
    — Deux chambres.
    — Et ils sont trois ! ricana un galfâtre qui s’était approché de la fenêtre.
    Mieux valait s’arrêter ; passer la nuit allongé, habillé, l’oreille attentive et l’épée à portée de main.
    — Alors, l’homme ?… Vas-tu te décider à nous conjouir ou pas ?
    Le tavernier devina qu’il avait
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