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L'épervier de feu

L'épervier de feu

Titel: L'épervier de feu
Autoren: Pierre Naudin
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pour amoindrir la souffrance de son épaule. Regrettait-il Saveuse ? Il avait découvert, nouées à l’arçon de selle du Cambrésien, deux bourses robées dans les chambres du donjon. Il les avait conservées. Et comme il y songeait, il commenta :
    — Avec de l’or et de l’argent on obtient tout.
    Sans doute espérait-il entamer un entretien susceptible d’alléger la lourdeur d’un silence qui les incommodait tous.
    — Tout ? s’étonna Ogier. Même la santé quand la peste vous court après et qu’il faut désespérer d’une trêve ?
    Il s’en voulut de se montrer désagréable et sentit aussitôt, pareils à quatre picots de fer, les yeux de son compère et ceux de Rosamonde pointés sur son dos. Qu’importait ! Il était las, déçu d’avoir eu à se battre. L’idée le pénétra qu’il cheminait pour rien. Qu’il arriverait trop tard. Un mystérieux et impérieux désir de solitude emplissait son esprit quand, songeant qu’ils avaient parcouru sans doute un quart de lieue, il contraignit le Noiraud à un brusque demi-tour que le cheval, tiré de sa nonchalance, acheva par une ruade.
    — Regardez !
    Une lourde fumée s’échappait des archères et de la guette du donjon. L’écurie, elle aussi, devait flamber. Et la chapelle. Cette orgie de boursouflures noires, pétillantes d’étincelles et de flammèches, barbouillait le ciel d’un semblant d’orage.
    — Est-ce toi, Étienne, qui a bouté le feu juste avant notre départ ?
    — Non. Nos deux flambeaux s’étaient consumés avant l’aube.
    — Alors, est-ce vous Rosamonde ?
    — Non… Comment aurais-je fait ?
    Son visage livide prenait un relief troublant dans le désordre de ses cheveux mal peignés. Des lueurs de courroux lui jaillissaient des yeux et sa bouche tremblait, bien qu’elle s’efforçât de la maintenir close.
    — Qui donc a mis le feu ? demanda Barbeyrac.
    Ogier soupira, incapable de répondre. Un essaim de questions volait autour de lui. La jeune morte n’était-elle pas seule ? Un homme de Franque-Vie avait-il survécu ? De rage avait-il voulu se venger sur la forteresse ? Les Neuf Preux avaient-ils un pouvoir démesuré ? Allaient-ils cheminer avec leur malédiction ?
    — Il me semble sortir d’un sommeil infernal.
    — Mon épaule navrée me prouve le contraire !
    — Mon époux mort également, dit Rosamonde d’une voix assourdie d’une tristesse tellement fausse qu’Étienne ne put s’empêcher d’en rire.
    Ogier regarda de nouveau la fumée. L’incendie gagnait en force et se dispersait.
    « Demain tout sera noir, là-bas. Cette forteresse, elle aussi, paraîtra victime de la morille. »
    Il frémit comme s’il était pris d’une fièvre maligne, comme si le château lui appartenait. Son gosier se serra. Il sentit des picotements dans ses yeux au souvenir de sa jeune et éphémère alliée.
    — Dieu est cruel, marmonna-t-il. Cruel et injuste.
    — Peut-être, dit Étienne, aurions-nous dû emmener les roncins des vaincus.
    — Pour provoquer des convoitises mortelles… Non, crois-moi, Barbeyrac, ils sont bien où ils sont.
    Et tapotant l’épaule de son Noiraud avant de retomber dans sa mélancolie, Ogier reprit sa lente chevauchée.

III
    Le froid, le vent et quelquefois la pluie. Des villages dépeuplés où brasillait un bûcher ; deux si l’épidémie s’y montrait particulièrement cruelle. Des arbres décharnés, juchoirs de paisibles confréries de corbeaux gros et lourds, – comme gavés des noirceurs de la peste. Dans les champs, de sombres bouffissures pelées, surmontées de quelques croix sous lesquelles s’enchevêtraient des corps. Silence et putréfaction. L’air sentait la cendre et la pourriture.
    Les graviers des chemins craquaient sous les sabots. Esseulées dans les terres, des maisons se mouraient, elles aussi. Pas une voix, pas un cri : les oiseaux seuls piquetaient le silence. Ruines sur la mosaïque des prés abandonnés. Friches, roncières ; parfois le sombre gonflement d’une vache ou d’un cheval endormi à jamais.
    Ogier ne se sentait point enclin à commenter ce qu’il voyait. C’était lugubre à en regretter l’Angleterre et surtout Bunbury. Tous les visages des vivants suaient la mort. Les bourgs où subsistaient des centaines de manants épargnés par l’infection semblaient clos, verrouillés sans trêve. Dans certains, on jetait les morts hors de l’enceinte ; ils s’entassaient et se corrompaient au pied
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