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L'épervier de feu

L'épervier de feu

Titel: L'épervier de feu
Autoren: Pierre Naudin
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des murs ; leur punaisie montait à l’assaut des créneaux. Ces cités ne pouvaient inspirer que l’horreur. Elles avaient perdu et leur âme et leur nom.
    Il fallait cheminer vers le Ponant ; c’était tout ce à quoi Ogier songeait pour remédier à l’écœurement qui souvent le prenait au spectacle de toutes ces choses. Pas une cathédrale en vue afin de se dire, puis d’annoncer : « C’est par-là ! » Le froid l’envahissait. La nuit tombait vivement, le jour tardait à paraître. Heureusement, l’herbe était abondante, les chevaux solides. Il y avait toujours dans un creux de vallon une masure, une encoignure où s’abriter. Il y avait toujours un hameau où l’on pouvait acquérir du pain noir et une volaille malingre à condition d’en quadrupler, voire d’en sextupler le prix.
    L’humanité n’avait jamais enduré rien de plus effrayant que cette inexorable invasion d’un mal invisible et sournois. On eût dit que la foudre était tombée partout. Décrépitude et discorde, car il advenait que l’on vît des gens se colleter autour d’un mourant, les uns souhaitant l’exhorter, les autres voulant l’occire pour abréger son angoisse. Le crépuscule des existences condamnées ruinait les santés et les caractères. Il semblait que personne ne se sentît l’aptitude à vivre ses ambitions, ses amours et ses rêves. Le courage manquait ; la frayeur augmentait. Des croix de carrefour avaient été mutilées. La ferveur, elle aussi, était contaminée.
    Étienne regardait. Rosamonde baissait fréquemment les yeux. Des bûchers et des matelas de terre au-dessus des fosses communes. Partout !
    « Non ! Cela ne peut être pareil à Gratot ! »
    Ogier se fortifiait de cette négation comme d’un aliment amer. Parfois, il était tenté de pousser son cheval ; parfois, il était enclin à le retenir : il se tolérait cette couardise.
    Il se dédoublait : il entrait à Gratot et trouvait le château mortellement vide ; il franchissait le porche de la porte charretière, et Blandine était là, qui l’avait attendu. Ce retour, il l’avait vécu cent fois à Bunbury. Il avait puisé dans l’expérience d’un autre lui-même des souvenirs réconfortants ; il lui avait emprunté des sensations, des aventures, des volontés. Il avait tout prévu, tout éprouvé. Il avait vu les lieux où il cheminerait. La peste détruisait toutes ses illusions.
    — Cette cité au loin… Est-ce Rouen ?
    — Sans doute.
    — Y dormirons-nous ? demanda Rosamonde.
    Sitôt à proximité des murailles, ils virent les feux autour desquels semblaient danser des hommes noirs. « Nous, nous sommes vivants et en bonne santé. » Rouen était atteint et ils étaient vivants. La morille les ignorait. Pour eux trois, la vie restait et resterait belle.
    — Dormir en ces murs, dit Rosamonde, c’est peut-être exciter la mort…
    — Plus que nous, dit Ogier, nos chevaux méritent une halte et un toit.
    — Nous crois-tu assez forts pour défier la peste ?
    — Je ne le sais vraiment, Étienne. Nous avons pris les remèdes de messire Maignelay. Nous avons bu son vin de sauge. Nous avons achevé, hier, son électuaire. Nous voilà dépourvus de notre dernière armure contre l’épidémie. Nous sommes purs encore. On brûle les charognes et nous sommes vivants.
    Des rues vides et, sans doute, des chambres vacantes dans les hôtelleries. Quatre hautes fumées noires sur le ciel d’un bleu froid. Oublier ces corps, ces centaines de corps qui rôtissaient en grésillant ; ces têtes noires, ces aisselles noires, ces aines noires… Crépitement du bois, chuintement des graisses humaines. Visages de monstres ; bras pareils aux sarments d’une vigne vendangée par la mort… À Gratot y avait-il un bûcher ? Y avait-il eu un bûcher ? Oublier les gémissements des vivants que l’on offrait au feu : un peu plus tôt, un peu plus tard, il faudrait bien les arser [95] … Oublier les cris des parents offrant leur enfant mort aux flammes dévoreuses… Oublier comment  ? On ne pouvait oublier.
    « Je les regarde de mes yeux vivants. Je passe devant eux… Je les offense de ma bonne mine ! Rouen sera-t-il pour nous un piège mortel ? »
    Les archers du guet confabulaient avec deux filles follieuses. Leurs rires cessèrent au passage d’un charreton empli jusqu’en haut des ridelles. Certains bras remuaient à travers les barreaux : il semblait que ces trépassés adressaient ainsi leur
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