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L'épervier de feu

L'épervier de feu

Titel: L'épervier de feu
Autoren: Pierre Naudin
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pouillerie [112] fume jour et nuit, mais il faut bien que l’eau s’évacue… La Vire est corrompue, elle aussi. La peste a infecté ce fleuve. Malheur à qui veut y laver son linge ou y pêcher. Les dons affluent aux pieds de sainte Madeleine et saint Lazare. La ville entretenait des médecins. Ils examinaient les gens suspectés de morille ; ils sont morts. Et si vous passez par le centre de Coutances, un homme nous a dit, hier, que des pénéants y venaient d’arriver.
    — Des flagelleurs ? s’étonna Ogier.
    — Oui, messire… Aussi vrai que mon nom est Benoît Ledentu, ce sont des gens dont la religiosité dépasse la nôtre. Ils ont des escourgées [113] aux lanières lestées de bossettes de fer ou de gros hameçons. Ils s’en donnent des coups et s’en font donner. La chair de leur poitrine et de leur dos se déchire et saigne. Ils prétendent que leur sacrifice apaise la colère divine.
    — C’est marmouserie !
    — Qu’on leur désigne un Juif : ils l’occisent avec joie. Ils clament que les Juifs et les Espagnols sont responsables de la propagation de la peste parce qu’ils sont sales et répugnants. Il paraît qu’ils ont des femmes à leur dévotion. Elles soignent et guérissent vélocement leurs plaies.
    Il y eut un silence. Le rouquin renifla et s’essuya la bouche avec une espèce de rage :
    — Faut châtier les Juifs s’ils sont coupables. C’est vrai qu’ils sont répugnants.
    « Tu ne dois pas souvent te voir dans un miroir », songea Ogier. Toutefois, ostensiblement, il détailla l’homme de bas en haut : de son aumusse noire, déchirée, à ses heuses alourdies d’une boue plus dure, sans doute, qu’un mortier.
    — D’après ce que je sais, la peste vient de Gênes.
    — Ça, dit le rouquin, c’est des jengles [114] . On ne sait pas d’où ça vient. Mais ce qu’on sait, c’est qu’où il y a des Juifs, il y a la peste.
    Fallait-il poursuivre ? Ogier vit sourciller Étienne. Il ne disait mot. Pensait-il, lui aussi, comme ce goguelu ?
    — Bah ! fit Robert en consultant son oncle du regard, pour accuser, faut des preuves.
    — Y a pas besoin de preuves pour les Juifs.
    Le rouquin entrouvrait ses lèvres pâles sur des dents de fauve. Son rire fut comme le déshabillement de son âme. Ogier sut qu’il ne commettait point d’erreur en disant :
    — Je suis sûr que c’est toi qui saignes les moutons.
    — Oui. Pourquoi ?
    Il souriait. Il aimait le goût et l’odeur du sang.
    — Tu saignerais un Juif ? Une Juive ?
    — S’il le fallait.
    — Ah ! fit Étienne.
    Dans le silence épais l’on entendit, seule, la respiration
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