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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi
Autoren: Robert Merle
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bégueule nous va-t-elle longtemps
persécuter ? Ne pourrais-je d’ores en avant prononcer ce bon vieux mot de
notre langue sans que, sur son commandement, on sourcille autour de moi ?
Que veut dire cette tyrannie-là ? Un mot est un mot et un cul est un
cul ! Le sien est-il si différent du nôtre qu’il ne soit pas
nommable ? De tous ses emplois n’en est-il pas un qui se rappelle de temps
en temps à son plaisant souvenir ? Que je plaindrais le pauvre Charles
s’il n’en était pas ainsi ! Il est vrai, dit-elle en riant, que Charles
s’intéresse surtout à ses chevaux. Il aime les croupes plus que les culs…
    — Vous récidivez, Madame ! s’écria mon père.
    Mais cette fois, il rit à gueule bec et moi aussi.
    — Pour en revenir au roi, dit Madame de Guise, heureuse
et comme fiérote de nous avoir divertis, c’est assurément un garcelet qui doit
avoir bon cœur. Mais il est timide, il bégaye, il n’arrive pas à aligner deux
mots, et surtout, il perd son temps à des riens, ne se plaît qu’à de petites
tâches manuelles, fait le maçon ou le jardinier et pour tout dire, je suis de
ceux qui le tiennent pour un enfant enfantissime…
    — Ha, Madame ! m’écriai-je avec vivacité,
permettez-moi là de vous contredire. Louis écoute tout ! Il observe tout
sans faire mine ni semblant et s’il se tait, c’est crainte qu’il lui en cuise
de sa franchise. Mais il n’oublie rien et surtout pas qu’il est le roi. En
outre, il est déjà très entendu aux choses militaires.
    — Cela est vrai, dit Madame de Guise. Savez-vous que
lorsque Juliers se rendit à nos armes, Louis se fit tout expliquer sur le
siège. Et quand on en eut fini, il s’écria : « C’est moi qui ai pris
la ville ! » Parole bien naïve, ne trouvez-vous pas ?
    — Parole de roi ! dit mon père. Louis sait bien
qu’il était dans son Louvre quand Juliers fut conquise. Il n’empêche !
C’est une victoire de son règne et, hautement, il la revendique.
    — Mais le plus amusant de l’affaire, poursuivit Madame
de Guise (que les « arguties » de mon père laissaient de glace),
c’est que, recevant quelques jours plus tard un seigneur espagnol qui faisait
partie de la suite du duc de Feria, Louis se fit un plaisir, s’étant fait
apporter un plan de Juliers, de lui expliquer par le menu la façon dont les
Français et les alliés s’étaient emparés de la place. N’était-ce pas du dernier
comique ! Adresser ce discours à un Espagnol ! Peut-on être à ce
point innocent !
    — Madame, dit mon père gravement, ce n’était pas, de la
part de Louis, innocence. Détrompez-vous ! Vous pouvez être bien assurée
qu’il y mettait malice. Et cette malice-là est tout entière dans la manière de
notre défunt roi. Comme aussi le fait de parler à tous les gens que Louis
rencontre sur les chemins, quand il chasse.
    — Que nenni ! Que nenni ! dit Madame de
Guise. Je le décrois ! Juliers expliqué à un Espagnol et à un Espagnol
proche de l’ambassadeur ! Nenni, ce n’était pas malice, mais
innocence ! De reste, que penser d’un garcelet qui passe tout son repas à
jouer du tambour avec un couteau sur la table, sur la vaisselle, sur les
gobelets et sur sa propre assiette ? Non, non, vous dis-je, un enfant, un
enfant enfantissime !
    — Mais Madame, reprit mon père, trahissant quelque
impatience à ouïr sur Louis ce refrain déprisant qu’on chantait, non sans
arrière-pensée, dans l’entourage de la régente, pour ce qui est de battre du
tambour sur le couvert, Pierre-Emmanuel l’a fait aussi et il n’avait pas neuf
ans, mais douze.
    Là-dessus, Madame de Guise oublia tout à trac l’objet même
du débat, et m’envisagea en silence, répandant sur moi la lumière de ses yeux
pervenche.
    — Mais j’espère bien, dit-elle, que mon
Pierre-Emmanuel, tout sérieux et savant qu’il soit, restera jeune et joueur sa
vie durant. Toutefois, mon beau filleul, reprit-elle après un silence, vous
avez, si je ne m’abuse, dix-huit ans. Il faudrait songer à vous marier.
    Autre refrain ! pensai-je et je me sentis saisi d’une
profonde tristesse. Non point à cause de l’idée même du mariage, mais parce que
je me souvins que Madame de Guise avait évoqué pour la première fois le sujet,
au cours d’un trajet en carrosse dans Paris, trois heures à peine avant que
notre Henri fût assassiné.
    — Je vous vois soudain fort mélancolique, reprit Madame
de Guise. Dirait-on pas
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