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L'Enfant-Roi

L'Enfant-Roi

Titel: L'Enfant-Roi
Autoren: Robert Merle
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cruelle [1] . Mais à
supposer même l’insupposable, à savoir qu’elle eût consenti à me donner quelque
mission, je suis bien certain qu’étant donné la tournure que prenaient les
choses, ni mon père ni moi n’aurions voulu que j’acceptasse un emploi qui m’eût
amené à défendre une politique, en toute probabilité rigoureusement contraire à
celle qu’Henri avait poursuivie.
    Il est vrai que « les choses » de prime ne
parurent pas tourner si mal. Le vingt-sept septembre, la duchesse de Guise, tôt
le matin, ce qui nous étonna fort, nous vint annoncer la prise de Juliers par
une petite expédition française aidée par les Hollandais, sans que les
Habsbourg d’Autriche ni ceux d’Espagne n’eussent levé le petit doigt pour
empêcher ce succès de nos armes.
    Mon père me parut bien loin d’être aussi enthousiaste de
cette victoire que Madame de Guise.
    — Certes, dit-il (ce « certes » trahissait le
huguenot converti), il vaut mieux que Clèves et Juliers soient dans les mains
des luthériens d’Allemagne, nos amis, que dans celles des Habsbourg. Mais cette
expédition, si elle conforte notre point d’honneur, n’est, dans la réalité des
choses, que poudre aux yeux. Les Barbons qui conseillent la régente sont
de rusés renards. Ils font mine, dans cette affaire, de poursuivre la politique
anti-Habsbourg du feu roi, alors qu’ils sont bien d’accord avec la reine-mère
pour en prendre le contre-pied. La chose est claire : nous allons avoir
une régence ligueuse, papiste et espagnole. Et dites-vous bien que les Habsbourg
le savent : sans cela, nous auraient-ils laissés prendre Juliers sans même
battre un cil ?
    — Monsieur, dit Madame de Guise en haussant le sourcil,
cessez, je vous prie, vos discours séditieux. Ils me blessent l’oreille. En
outre, ils ne sont plus à la mode qui trotte. Depuis que Marie a reçu la
régence, il n’est plus question de faire la guerre aux Habsbourg, mais de nous
marier avec eux. Ils ont à Vienne des petites archiduchesses et à Madrid des
infants et infantes en bouton à ne savoir qu’en faire. Et quant à nous, nous ne
faillons pas au Louvre en fils et filles de France. Qu’allons-nous faire, sinon
les conjuguer ?
    — Que m’apprenez-vous là ? s’écria mon père. Notre
pauvre Henri est à peine froid dans sa tombe que déjà on tâcherait à forger des
liens matrimoniaux avec les pires ennemis du royaume, ceux qui, sous
Henri III et Henri IV, ont tant travaillé à semer la guerre civile en
France dans le seul dessein de la démembrer ?
    — Monsieur, dit Madame de Guise avec confusion, je vous
en prie, oubliez mon propos, ma langue a parlé trop vite. De reste, le projet
des mariages espagnols est encore dans les limbes. Oubliez-le, je vous prie.
Pour l’instant, Madrid ne consent à nous donner pour le petit roi qu’une
infante cadette. Or, nous voulons l’aînée. Nous ne voulons absolument
qu’elle ! Nous ne traiterons pas à moins !
    — L’aînée ou la cadette, gronda mon père, la belle
affaire ! Je n’ai rien contre les petites infantes, mais ces huiles-là,
jeunes ou moins jeunes, sortent du même pressoir et elles vont très à l’encontre
des estomacs français. L’aînée ou la cadette ! Jour de Dieu ! Si
c’est là tout le différend entre Paris et Madrid, le pape, qui sait l’art de
tourner les salades, vous le va arranger en un tournemain.
    — Ha, Monsieur ! Ne parlez pas ainsi du
Saint-Père ! s’écria Madame de Guise. Votre fureur antipapiste me soulève
le cœur ! On dit bien : le chien retourne toujours à son
vomissement ! Car d’où vous viennent, je vous le demande, ces propos
contre le pape, sinon de votre ancienne religion ?
    — Madame, dit mon père avec un haut-le-corps et sa voix
sonnant comme un fouet, si vous allez, après ce chien, me parler de caque et de
hareng [2] , je vous en avertis, je vous quitte
la place !
    Madame de Guise, à ouïr ce propos, rougit et ondula comme
houle sous forte brise, puis se rapprochant de mon père à le toucher, elle
s’empara avec vivacité d’une de ses mains et la serra avec force :
    — Ha, mon ami ! dit-elle, la voix trémulante, et
levant vers lui des yeux effrayés, comme si elle se demandait comment elle
allait faire pour se hisser jusqu’au sommet de ce roc escarpé qui la dominait
de si haut, je serais bien sotte…
    — Assurément vous l’êtes, dit mon père entre ses dents.
    — Je serais bien sotte,
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