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Le temps des poisons

Le temps des poisons

Titel: Le temps des poisons
Autoren: C.L. Grace
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des diables déchaînés sur la route et, la nuit, elle avait ouï les fantômes qui clabaudaient dans l'ombre. Grand-mère Croul n'était pas femme à s'effrayer d'un rien. Elle savait lire et écrire. Elle avait possédé jadis un livre de corne1, elle avait même suivi la route de Cantorbéry pour aller admirer le Pont de Londres et ses arches, avec ses multiples maisons et échoppes, ainsi que les longues perches qui supportaient les crânes des traîtres exécutés. Grand-mère Croul ne se laissait pas non plus guider par ses humeurs. Elle prenait garde à ce qu'elle mangeait. Elle s'était entretenue avec assez de mires, apothicaires et 1 Fine tablette de chêne sur laquelle étaient gravés l'alphabet, les neuf chiffres et parfois le Notre-Père. Elle possédait une poignée et était protégée par de la corne amincie. ( N.d.T.) 1 Récipient servant à recevoir le musc, l'ambre, les résines ou essences parfumées. ( N.d.T.) sages voyageurs pour savoir que certaines plantes pouvaient conduire le cœur en d'étranges voies fantasques. Alors, pourquoi était-elle si anxieuse ? Elle descendit l'allée du jardin et ouvrit la barrière de bois branlante. Puis elle se retourna et regarda sa chaumière et les quelques poules faméliques qui s'ébattaient dans la poussière devant le cottage. Ce dernier avait piètre aspect ; elle avait économisé quelques pennies et souvent pensé à engager un maçon ou un chaumier pour le rendre plus accueillant, mais à quoi bon ? «
    Délabré et humide », c'est par ces mots qu'elle le décrivait.
    —
    Délabré et humide, dit-elle à haute voix. Et dévoré par les vers, tout comme moi.
    Elle sourit. Pourtant, bien des années plus tôt, par une nuit embaumée, alors que les oiseaux chantaient et que l'air était chargé du doux parfum des roses, elle s'était étendue là avec son seul véritable amour, Cris- pin, le meilleur charpentier du comté, Crispin au corps musclé et aux baisers ardents et passionnés...
    —
    Il y a si longtemps ! murmura-t-elle.
    Elle sursauta à la vue d'une belette qui lui coupait le chemin, si vive que même les chats ne réagirent pas. Mais, de toute façon, ils s'en seraient gardés : n'était-ce pas de mauvais augure et le souffle de cet animal n'était-il pas vicié et corrupteur ? Grand-mère Croul leva les yeux vers le ciel bleu lavé de pluie. Des nuages dissimulaient à présent le coucher du soleil. La journée d'automne se mourait et Blacklow Copse s'éveillait aux bruits de la nuit. Un vent froid soufflait et les corneilles, volant en cercle au-dessus des arbres, croassaient, assourdissantes. Grand-mère Croul plissa ses yeux chassieux et regarda au loin. Elle pouvait distinguer les lumières du village, le rougeoiement des chandelles, le feu de la forge, le scintillement des lanternes de corne devant les tavernes et, de-ci de-là, la faible lueur des torches dont s'étaient munis les paysans qui revenaient des champs. Ils se rassembleraient dans la grand-salle du Sanglier bleu ou celle plus spacieuse du Cygne d'argent avant de rentrer chez eux.
    Ils s'assiéraient pour vider des chopes de la fraîche bière du Kent, brassée à partir du houblon, et échangeraient des histoires avec les pêcheurs qui se préparaient à une nuit de labeur en mer.
    — Moissonner la terre, moissonner la mer, souffla grand-mère Croul entre ses dents.
    Elle suivait des yeux l'élévation de la grève, distinguait les champs, les boqueteaux et, sur la falaise, les lumières éclatantes du vaste manoir, demeure de Sir Henry Beauchamp, puissant propriétaire terrien et ami du roi, qui avait savouré sans retenue les plaisirs de la vie. Lord Henry, avec ses cheveux blonds, son visage amène et ses étranges yeux bleus, était un homme du Kent, un écuyer, qu'on avait envoyé aux collèges de Cambridge pour se préparer à devenir clerc.
    Il s'était aussi révélé homme d'armes. Il avait suivi la bannière des York et avait été aux côtés du roi Edouard, sanglante bataille après sanglante bataille. La Couronne s'était donc montrée généreuse. Oh oui ! fort généreuse ! Le roi Édouard avait envoyé Lord Henry à Walmer, comme un ange vengeur, comme le bras du Seigneur, pour punir sans pitié la bande de naufrageurs qui avait coulé moult navires sur la côte et expédié les âmes assassinées des équipages devant le trône de Dieu. Le frère bien-aimé de Lord Henry avait été l'une des victimes. Le roi avait livré Walmer à ce dernier. Quel
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