Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le temps des poisons

Le temps des poisons

Titel: Le temps des poisons
Autoren: C.L. Grace
Vom Netzwerk:
châtiment il avait forgé, érigeant les grands gibets sur la falaise et y pendant les mécréants comme un fermier l'aurait fait des cadavres des corneilles en maraude ! Une fois la punition menée à terme, la Couronne avait plus encore favorisé Lord Henry. Grand-mère Croul avait entendu les bavardages sous le porche du cimetière de l'église paroissiale Saint-Swithun. Sir Henry avait reçu terres, prairies, pâtures, bois, droits de pêche, dans tout le Kent. Il était revenu dans ce village, avait fait abattre le château en ruine et construire un nouveau manoir ceint de hautes murailles. On disait qu'il ressemblait au Paradis, que la pierre couleur de miel de la vaste demeure avait été spécialement apportée des Cotswolds. Il y avait une chapelle, des dépendances, des écuries et des entrepôts, tous de la même pierre à la couleur chaude, avec des toits rouge et noir en ardoise et des sols dallés. Les serviteurs qui y travaillaient décrivaient les chambres aux murs lambrissés d'un riche chêne sombre au-dessus duquel étaient pendus des tapisseries aux nuances vives et des tableaux aux cadres dorés.
    Oh oui, se disait grand-mère Croul, Lord Henry était un homme influent, tant à la Cour que dans le comté ! Membre du Conseil privé, il était aussi garde du Sceau secret et avait l'oreille du roi et de tous les grands du pays. Pourtant il avait payé sa magnificence au prix fort
    : cela ne faisait-il pas juste un an que son épouse, Lady Mary, celle qui avait de beaux cheveux châtain cuivré, était tombée des falaises près de Gallows Point ? Personne ne savait ce qu'elle faisait là-bas, seule. Un domestique avait dit qu'elle avait quitté le manoir, affolée, et avait refusé toute compagnie, servante ou valet. Un chaudronnier ambulant avait trouvé son cheval et on avait découvert son corps roulé par la mer en bas, sur les rochers. Certains affirmaient que Lady Mary avait glissé. D'autres, plus malveillants, prétendaient qu'elle avait perdu l'esprit et s'était jetée dans le vide. Elias, le maréchal-ferrant, après boire, avait même crié à qui voulait l'entendre qu'on l'avait poussée. Mais bon, Elias avait une langue de vipère et enviait Lord Henry. C'était ça l'ennui à Walmer : c'était un village serein mais dont la tranquillité, comme celle de la mer proche, recelait de sombres secrets bouillonnants qui pouvaient soudain resurgir, ravivés par un excès de bière ou un transport de passion.
    Grand-mère Croul, contemplant toujours le manoir, décida d'avancer plus loin sur le sentier. Elle avait ouï dire que des seigneurs étaient arrivés, des membres de la cour de France, et d'autres personnes encore. Il y avait même une femme médecin. Comment s'appelait-elle, déjà ? Grand-mère Croul ferma les yeux ; rien à faire, elle ne pouvait s'en souvenir. Elle s'appuya sur sa canne, scrutant les ténèbres, ignorant les chats qui se frottaient contre ses chevilles.
    Tous les ragots de Walmer lui étaient connus. Qui détestait qui, qui courait après telle ou telle servante, qui accordait ses faveurs sans vergogne. Elle savait que Daniel, le boulanger, posait souvent son doigt sur la balance ou mélangeait de la craie à sa farine. Que Roger le médecin faisait payer même les pauvres. Qu'Elias, le maréchal-ferrant, n'avait pas scrupule à vendre un cheval qui ne lui appartenait pas. Qu'on voyait souvent Isabella, sa femme, bavarder avec celui-ci ou celui-là à l'orée des bois. Les mesquines disputes mal digérées et les jalousies haineuses, la cupidité et l'avarice qui, semblables à des démons, pouvaient dresser leurs têtes hideuses et jeter le voisin contre le voisin, l'ami contre l'ami, n'avaient plus de secret pour elle.
    Grand-mère Croul était fine mouche et peu de choses lui échappaient. Elle avait le don, assise parmi les autres, d'écouter les propos sans en perdre une miette et de relever, en observatrice avisée, coups d'œil subreptices ou regards acérés. Elle ne craignait pas les villageois de Walmer - ils pouvaient se rendre chez Adam l'apothicaire ou Roger le médecin, mais on l'appelait aussi pour aider aux accouchements, pour soigner une contusion, un poignet foulé ou une cheville brisée. Bien entendu, quelques-uns chuchotaient que c'était une sorcière. Grand-mère Croul rit sous cape. Toute femme vivant seule, ayant atteint l'âge de septante, connaissant le monde tout comme les vertus des plantes et logeant avec deux chats, serait réputée
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher