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Le Temple Noir

Le Temple Noir

Titel: Le Temple Noir
Autoren: Eric Giacometti
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connaissait même pas son fils. Le Marcas était un animal farouche qu’il ne fallait pas brusquer.
    Le voyage en Floride était une étape importante pour elle. Lui faire connaître une partie de son univers personnel. Key West, c’était son refuge, son havre dès qu’elle avait un coup de blues. Ses parents l’avaient emmenée ici, toute petite, et son héritage judicieusement placé lui permettait de s’accorder le privilège de prendre un avion et débarquer régulièrement dans ce coin. Ni Key Largo, trop grande, ni Islamorada, aux plages somptueuses, mais sans âme, ni Tavernier, encombrée de pêcheurs… Non, Key West et son art de vivre, presque à l’européenne, qui résistait encore malgré l’invasion périodique de hordes de touristes déferlant par paquebots entiers. Si Marcas avait détesté l’île, elle aurait été malheureuse. Ce n’était pas le cas. Il s’était adapté très vite au fur et à mesure qu’il abandonnait sa carapace de flic.
    — Tu sais ce que j’aime dans ce pays ? dit-il, ironique.
    — Le soleil ?
    — Pas seulement. Ici, on ne me parle plus de crise, de dette, de plans sociaux en rafales. J’ai parcouru le journal du coin, c’est Oui-Oui au pays des cocotiers. Le seul article négatif porte sur la hausse des cours de la langouste.
    — Oui-Oui… Exagère pas. La crise existe ici mais ils préfèrent aller de l’avant, quitte à fermer les yeux sur la misère sociale, pourtant bien réelle.
    — C’est quand même pas le tiers-monde ! Tu sais quel est le pays le plus pauvre du monde ?
    Elle le regarda, étonnée, il avait la curieuse manie de poser parfois des questions saugrenues. Ça faisait partie de son charme.
    — Tu vas m’éclairer, mon frère…
    — Oui, ma sœur… La Sierra Leone, en Afrique. Au classement mondial, c’est le premier, tout en haut de la liste. J’ai lu ça dans l’avion. Ils ont des mines de diamants, des plages superbes, plus belles qu’ici, et pourtant ses habitants végètent dans une misère sans nom avec des guerres civiles à répétition. C’est à eux qu’il aurait fallu donner le trésor des Templiers !
    Elle sourit et se leva.
    — Tu as prévenu tes supérieurs, à eux de se débrouiller. Si on allait faire un saut du côté de Mallory Square ? Ça va être l’heure de la sunset célébration.
    — Un rite païen et érotique local ?
    — Ça se passe à côté du port, tout en haut de Duval Street. Les gens se regroupent pour le coucher de soleil. Le plus beau du monde.
    Antoine se leva à son tour et la prit entre ses bras. Il se colla contre elle et l’embrassa avec fougue. Ses mains glissèrent sous la robe de lin crème qu’elle tentait d’enfiler. Elle se sentit fondre mais se dégagea.
    — Pas question ! La suite ce soir. Dehors, commissaire, ou j’appelle la police pour harcèlement sexuel sur une femme sans défense.
    — Mmm… Si l’on me met en prison sur cette île, j’accepte.
    Elle lui indiqua la porte de la chambre. Il enfila un jean, une chemise de coton bleu pâle et des tongs en cuir usé. Un quart d’heure plus tard, ils arpentaient Whitehead Street qui menait droit vers le port. Un vent soudain s’était levé, faisant onduler la rangée de palmiers qui bordait le trottoir. Le soleil entamait sa descente, tout en haut de la rue. Gabrielle leva la tête et fronça les sourcils.
    — Orage en vue.
    Antoine lui pressa la main.
    — Tu plaisantes ? La météo a annoncé beau temps toute la journée.
    Les premières gouttes tombèrent alors qu’ils passaient devant une église méthodiste et immaculée. De gros cumulus monstrueux de noirceur avaient surgi de nulle part, le soleil s’était enfui sans demander son reste. Gabrielle hocha la tête.
    — Intuition climatique, hein ? Dans une minute ça va être le déluge.
    — Ça va, tout le monde peut se tromper, grommela-t-il.
    Les gouttes se firent plus grosses. Gabrielle regarda autour d’elle et pointa l’index sur sa droite, en direction de Sunset Street.
    — On va se réfugier chez Sloopie’s Joe. Chacun pour soi, monsieur météo.
    Elle avait enlevé ses sandales et, sous les yeux médusés d’Antoine, fonça de l’autre côté de la rue.
    — Attends ! C’est qui, Sloopie’s Joe ?
    Elle courait vite, slalomant avec grâce entre les groupes de passants. Antoine avait du mal à la rattraper. Quand ils arrivèrent sur Duval Street, l’artère la plus animée de l’île, la pluie se
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