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Le Temple Noir

Le Temple Noir

Titel: Le Temple Noir
Autoren: Eric Giacometti
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jaugèrent du regard, puis l’Anglais recula et s’éloigna. Roncelin crut entrevoir un sourire mais il n’en était pas certain. Il enfila à son tour la cagoule de chair et s’avança. Dans la fosse, il reconnut le corps de la bergère, capturée par ses hommes la nuit précédente. Elle était démembrée.
    Il n’avait rien fait pour la protéger.
    Il rabattit la capuche sur la cagoule, faillit faire un signe de croix pour cette pauvre fille, et se ravisa. Après tout, lui aussi était devenu un démon, la cagoule de djinn n’était que l’image de son âme perdue.
    Perdue et damnée en Terre sainte.
     
    Dans la ville, le cor avait semé l’effroi. Toute la population s’était répandue sur les remparts. Les femmes gémissaient de peur et imploraient le Miséricordieux, les enfants accrochés à leurs jambes. Anxieux, les hommes tentaient de percer l’obscurité en jetant des torches dans les fossés. La plupart s’éteignaient durant la chute. Khoubir secoua la tête. Si les pillards voulaient s’emparer de la ville, c’était le moment : il suffisait d’une simple volée de flèches, surgie de la nuit, et la panique balayerait les remparts. En un instant, les femmes seraient piétinées, les enfants jetés à bas du chemin de ronde, la ville brisée avant même d’être prise. Un homme mince et grand, les cheveux noirs et ondulés, habillé d’une longue tunique blanche, se dressa sur un des merlons d’où il dominait la foule. L’imam Khatani étendit ses bras, laissa planer un silence, puis gronda de sa voix chaude et mélodieuse :
    — Mes fidèles. Le Tout-Puissant est force et courage. Sa bénédiction est avec nous. Des volontaires pour descendre dans les fossés !
    Khatani était un homme que la subtilité avait épargné. Dans ses prêches aux fidèles, il éructait la loi du Prophète comme un possédé, ne tolérant aucune question, ne supportant aucune contradiction. Les mauvaises langues racontaient qu’orphelin des rues il avait été recueilli par des Juifs. Depuis, il se déversait en flots de haine aussi bien contre les fidèles du Christ que les fils de Moïse. Les autorités de la ville auraient dû le chasser depuis longtemps, mais son influence était devenue trop grande dans les bas quartiers. Khoubir l’interrompit :
    — Il n’y a qu’une porte. Si nous l’ouvrons, le risque est grand que…
    L’imam balaya l’objection d’un haussement d’épaules.
    — Seuls les chiens ont peur, les véritables serviteurs du Prophète ne connaissent que le courage.
    Insulté, Khoubir saisit le pommeau de son épée. Le vacarme l’arrêta net. À ses pieds, un groupe de jeunes se frappaient la poitrine, hurlant des chants guerriers.
    — Douze braves pour aller dans les fossés, mugit Khatani.
    Aussitôt plusieurs hommes se ruèrent vers l’entrée. En un instant, les lourdes poutres qui barraient les battants furent retirées et la porte s’ouvrit sur la nuit.
     
    Un à un les compagnons avaient regagné la lisière du bois. Ils se tenaient accroupis, les boucliers posés face contre le sol pour éviter les reflets de la lune, tandis que le fourreau des épées était entouré de charpies pour amoindrir les bruits. Chacun avait passé son masque, prêt à l’action. Le Devin se tenait à l’écart, la dague et le calice de cérémonie roulés dans une peau accrochée à son épaule. Seul Roncelin était resté dans la clairière. Un nuage se dissipa qui libéra la pâleur de la lune. Un éclat brilla à sa main gauche. Roncelin jura et fit tourner la pièce d’or qui ornait son annulaire. C’était là tout son héritage de cadet. Le seul bien que son père, le seigneur de Fos, lui ait transmis en lui conseillant d’aller chercher fortune en Terre sainte. Le Borgne s’approcha de lui. Les mains encore tremblantes, il saisit la gourde qu’on lui tendait et but avidement au goulot.
    — La liqueur de genièvre va te faire du bien, dit Roncelin.
    — D’habitude… commença l’ancien prêtre, d’habitude… je ne bois pas.
    Le Provençal sourit dans l’obscurité.
    — Tu te sens mieux ?
    — Je ne sais pas… balbutia le soudard.
    Un pas lourd écrasa une broussaille. Guillaume venait de surgir, une lanterne voilée à la main. La lumière vacillante illuminait son visage de démon d’un reflet d’incendie. Il éclata de rire :
    — Voilà l’heure des djinns !

2
    Floride
Île de Key West
De nos jours
    Il était 3 heures de
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