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Le Temple Noir

Le Temple Noir

Titel: Le Temple Noir
Autoren: Eric Giacometti
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soudards avaient tous le regard rivé sur le poignet du Devin qui suintait un sang noir dans le calice.
    — Qui veut connaître son destin ?
    Les hommes étaient pétrifiés. Une main pourtant se leva. Roncelin reconnut celle du Borgne, un ancien prêtre défroqué venu en Terre sainte chercher l’oubli des hommes et le pardon de Dieu. Une quête impossible qui, de désespoir en déchéance, avait fait de lui un criminel de grand chemin. Ni le sang versé, ni l’or dilapidé dans la débauche n’étaient parvenus à apaiser sa conscience. Avant chaque combat, il tremblait non de peur, mais de mourir sans s’être réconcilié avec Dieu. Le Devin se tourna vers lui :
    — Donne ta main.
    Le Borgne s’avança et dénuda son avant-bras. Autour de lui le cercle se resserra. Roncelin pouvait entendre les respirations saccadées des hommes. Un éclair brilla, suivi d’un cri étouffé. Les bords intérieurs du calice se teintèrent de marques brunes.
    — Tu veux toujours connaître ton destin ?
    Tout en maintenant son pouce sur la plaie, l’ancien prêtre hocha la tête.
    — Qu’il en soit ainsi, annonça le Devin en se dirigeant vers la fosse.
    D’un geste lent, il éleva le calice et, d’une voix d’outre-tombe, entonna son invocation.
    — Par les puissances du Monde Obscur, par les anges de la Nuit. Que le Très Bas soit sanctifié, que sa Volonté de Ténèbres soit faite, sur terre comme En dessous.
    Roncelin faillit se signer, mais se ravisa. Il n’allait pas croire à ces sornettes de charlatan.
    — Que les damnés m’entendent, qu’ils remontent vers moi, qu’ils s’abreuvent à mon offrande.
    Le Devin versa le contenu du calice dans la fosse. L’odeur âcre et putride se mua alors en une fragrance douce-amère. Roncelin grimaça de nouveau ; le contact du sang avec la chose dans la fosse produisait toujours cette même odeur. L’Anglais jeta le calice au sol et leva les yeux au ciel. Il tremblait comme un lépreux, les orbites révulsées, sa peau rendue livide. Sa voix sifflait comme un serpent, sa bouche se tordit dans un rictus.
    Un magnifique possédé, plus vrai que nature, songea Roncelin. Le Devin se tourna vers l’ancien prêtre et brusquement prophétisa :
    — Cette nuit est la tienne. Fais tout ce que tu veux ! Rien ne te résiste. L’or et le sang !
    Le Borgne était hypnotisé. La tête du Devin tressautait en tous sens, comme un pantin désarticulé. Les hommes eux aussi étaient figés, mais leurs regards étincelaient, ils s’étaient tous identifiés au Borgne, son destin prédit par le Devin était aussi le leur. La sauvagerie montait en eux, se diffusait comme un poison incandescent. Les mains se crispaient sur la garde des épées, les muscles se tendaient, les esprits s’imbibaient du breuvage sanglant répandu par le sorcier. Roncelin lutta pour ne pas se laisser contaminer, il ne croyait pas à ces balivernes mais sentait au fond de lui monter une enivrante invincibilité.
    Tout près, du côté de la ville, le cor sonna une nouvelle fois. Le Devin s’affala à terre. Roncelin s’avança au milieu de la troupe galvanisée et cria de toutes ses forces :
    — À la charge, les marauds, sans pitié !
    Les hommes levèrent leurs épées dans la nuit et hurlèrent en chœur :
    — À la charge !
     
    Roncelin fit un signe de tête au chef des archers qui était en train d’ouvrir un sac de toile. Les hommes passèrent, un par un, devant lui et prirent une sorte de cagoule rougeâtre. Leur chef cria :
    — Plus vite, mes démons !
    Les hommes enfilaient leurs cagoules, ajustant sur leurs visages le fin tissu strié de grosses veines écarlates, constellé de pustules noirâtres, puis ils passèrent par-dessus leurs capuches de bure. Le Provençal sourit. Les masques peints leur donnaient l’apparence de visages fraîchement écorchés. La nuit, le résultat était plus que parfait.
    Son armée de djinns était fin prête à fondre sur sa proie.
    Le Devin se relevait péniblement, le visage en sueur. Roncelin l’agrippa par le haut de la capuche et le hissa brutalement.
    — Toi aussi, va rejoindre les hommes.
    Roncelin rapprocha son visage du sien, il sentait l’odeur âcre de sa sueur.
    — Et cesse tes diableries !
    Le sorcier ne répondit pas, mais soutint son regard. Il y avait quelque chose de profondément malsain chez cet homme et le Provençal savait qu’il n’avait aucune prise sur lui.
    Soudain il le lâcha. Les deux hommes se
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