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Le souffle du jasmin

Le souffle du jasmin

Titel: Le souffle du jasmin
Autoren: Gilbert Sinoué
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1918
     
     
    Josef
Marcus était si petit qu'il semblait englouti par son siège. La cinquantaine,
figure burinée. Une fine moustache rousse ourlait sa lèvre supérieure. Il tira
une bouffée sur sa cigarette et inspira à pleins poumons avant de rejeter la
fumée vers le plafond.
    –
Alors ? questionna Hussein en tapotant avec contentement son ventre
rebondi. Ne t'ai-je pas assuré que ma femme cuisinait la Maqlouba [13] comme
personne ?
    Marcus
s'inclina devant l'épouse du Palestinien assise à sa gauche.
    – Comme on
dit chez vous : « Bénies soient vos mains. »
    Un sourire
modeste éclaira le visage joufflu de Nadia Shahid.
    – Merci,
Josef. Votre présence nous comble.
    Elle se
pencha vers une fillette qui devait avoir deux ans de moins que sa fille,
Samia. Soit une dizaine d'années.
    – Et toi,
ma chérie, est-ce que tu as aimé ?
    Irina – c'était son prénom – répondit par un oui timide de la tête.
    – Allons, maideleh [14]  ! s'exclama Josef Marcus. On dit merci
    Nadia
Shahid protesta.
    – Ne soyez
donc pas si strict, Josef. Elle est encore un bébé.
    – Précisément,
c'est à cet âge qu'il faut leur inculquer les bonnes manières.
    Nadia fit
la moue et ordonna à ses enfants encore attablés :
    – Samia !
Soliman ! Allez, aidez-moi à débarrasser.
    Sans
l'écart d'âge, la mère et la fille auraient pu passer pour deux sœurs :
mêmes yeux noirs en amande, même chevelure de jais, mêmes visages ronds. Mêmes
lèvres charnues. Le garçon, lui, ressemblait plutôt à son père avec déjà, à
seize ans, une légère tendance à l'embonpoint.
    Marcus
adressa un signe d'encouragement à Irina.
    – Toi aussi,
tu peux aider, ma chérie. Vas-y.
    – Oh !
Mais laissez-la donc tranquille, gronda Nadia. Vous êtes un vrai tyran.
    Saisissant
la fillette par la main, elle l'entraîna avec elle.
    – Viens, amoura, mon petit
amour, on va le rendre jaloux, ton papa. Je vais te servir le dessert avant
lui.
    Marcus
observa les trois enfants, songeur, tandis qu'ils emportaient les plats vers la
cuisine. Il exhala une nouvelle bouffée et murmura :
    – Il semble
que la navigation commerciale en Méditerranée orientale soit en passe d'être
rétablie. Tu vas pouvoir écouler à nouveau tes oranges et tes citrons. Hussein
Shahid & Sons, Shipshandlers, est en train de renaître de ses
cendres.
    Une
expression amère envahit les traits du Palestinien.
    – Hussein Shahid & Sons Shipshandlers ...
« Armement maritime » ! Quelle prétention fut la mienne le
jour où j'ai fait installer ce panneau sur mes entrepôts ! De trop grands
mots pour une aussi modeste affaire car, tu le sais mieux que moi, Haïfa n'est
ni Suez ni Marseille. Toutefois, tu as raison, les affaires
reprennent en effet. Allah soit loué ! Ce petit commerce me permet de
gagner correctement ma vie et de mettre un peu d'argent de côté, à la
condition, bien entendu, que rien ne vienne tout bouleverser.
    Il
s'interrompit pour interpeller Nadia.
    – Ma chérie !
Tu veux bien nous servir un café blanc ?
    Josef se
mit à rire.
    – Café
blanc ! De la fleur d'oranger rallongée à l'eau chaude ! Il n'y a que
vous, les Orientaux, pour inventer ce genre d'expression.
    Hussein
ignora le commentaire et poursuivit :
    – L'argent,
je m'en moque. Je suis surtout préoccupé par l'avenir de mes enfants. Il est
essentiel que Mourad et Soliman acquièrent rapidement le sens des
responsabilités. Certes, Soliman est encore jeune, seize ans. Et en prime,
c'est un incorrigible rêveur. Toujours la tête plongée dans les poèmes d'amour
d'Ibn Arabi, d'El-Mutanabbi ou – ce qui ne m'enchante guère – dans les écrits
de ce pervers d'Abou Nawas, qui vante ouvertement l'amour du vin et des
garçons. On aurait dû le pendre ! Quant à Mourad... Ah ! Mourad est
tout le contraire de son frère : impétueux, susceptible. Je le soupçonne
de détester s'occuper de mes orangeraies. Il ne s'est jamais senti l'âme d'un
cultivateur et encore moins celle d'un commerçant. Il n'a qu'une passion :
la politique. Et moi je n'aime pas la politique...
    – Qui a
dit qu'elle n'était qu'un procédé qui permettait à des hommes imprévoyants de
gouverner des hommes sans mémoire ? Allons, mon ami, ne t'inquiète pas.
Avec le temps, c'est sûr, tes garçons vont mûrir. Soliman quittera le monde des
songeries et son frère aîné, le bourbier politicien. Quant à Samia, le moment
venu, elle fera comme ma petite Irina et comme toutes
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