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Le souffle du jasmin

Le souffle du jasmin

Titel: Le souffle du jasmin
Autoren: Gilbert Sinoué
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as l'air épuisé.
    – Je suis
debout depuis 5 heures du matin. J'ai passé la journée dans les vergers.
    – Tu vois,
nota Nadia, c'est ce que je disais ! Tu te fatigues trop.
    – Oh,
maman !
    – Parfait !
Si tu es malade, ne viens pas chez moi pour te plaindre : va chez ton
père !
    Tandis
qu'elle se retirait en bougonnant, Mourad s'installa sur le tapis et annonça à
Hussein :
    – Je n'aime
pas beaucoup la couleur de nos oranges.
    – Je sais,
mon fils. Elles sont bien pâles. Cette année, les nuits ont été anormalement
chaudes.
    – Quel
rapport ? questionna Josef.
    – Tu es bien
un intellectuel, toi ! Apprends donc que les oranges ne prennent leur
couleur... orange que lorsque la température nocturne est suffisamment basse et
que de la chlorophylle est libérée. Si la variation de température est trop
faible entre le jour et la nuit, ces agrumes restent verts.
    Le
Palestinien ironisa :
    – Dire que
tu veux te lancer dans l'agriculture, là-bas dans ta Kvou...
Kvou. .. comment dis-tu ?
    – Kvoutza.
    – Kvoutza ? répéta
Mourad.
    – C'est un
mot qui signifie « groupe ». De jeunes immigrants, originaires comme
moi d'Europe de l'Est, se sont installés sur les bords du lac de Tibériade, dans une
ferme qu'ils ont appelé Degania [17] . Il existe aussi un autre collectif plus récent,
appelé Kinéret, sur les bords du Jourdain. Mais il est trop isolé à mon goût.
    – Et quel
est le but de ces « groupes » ?
    – Rien que
de très banal. Chaque ensemble se partage équitablement droits et devoirs.
    – N'est-ce
pas un peu utopique, mon ami ? nota Hussein. Par définition, la nature est
injuste.
    – Sans
doute. Mais n'est-ce pas à nous d'essayer de remédier à cette injustice ?
    Il y eut
un bref silence. Mourad lança tout à coup :
    – L'un de
vous a-t-il lu les dernières nouvelles ?
    – Tu sais
bien que je n'achète jamais la presse, répliqua Hussein. Kalam
fadi ! Des mots vides ! Tu es le seul à faire le bonheur
des marchands de papier !
    Mourad
sortit de sa poche un numéro du journal en langue arabe de Jérusalem, Filastine, et le tendit à son père.
    – Lis.
    Le Palestinien
chaussa ses lunettes.
    L'article
était intitulé : « LA TRAHISON ». Il révélait qu'en vertu d'un
traité signé dans le plus grand secret deux ans auparavant, par deux diplomates
franco-anglais, la France et l'Angleterre s'étaient réparti le Moyen et le
Proche-Orient. Le document aurait été découvert dans les archives du ministère
russe des Affaires étrangères par le gouverneur de Petrograd qui l'aurait
aussitôt porté à la connaissance du gouvernement ottoman. À peine informés, les
Turcs, furieux, s'étaient empressés de transmettre une copie de l'accord à
l'émir Hussein, chérif de La Mecque, à qui les Britanniques avaient promis un
grand royaume arabe. Écœuré par la lecture du texte, l'émir Hussein l'avait
transmis à son tour au gouvernement britannique avec une demande
d'explications.
    – C'est de
la démence, se récria Hussein en ôtant ses lunettes. Comment ont-ils pu faire
une chose pareille ? De quel droit ?
    – Celui des vainqueurs, tout simplement.
    Josef secoua la tête, consterné.
    – J'ai du mal à y croire. Alors que vos frères se battaient et tombaient sous
les balles turques, ces gentlemen se partageaient leurs terres ?
    – C'est bien
ce qui est écrit.
    – Impossible. Les Britanniques
ne peuvent se déjuger de la
sorte.
    – Oui,
surenchérit Hussein. Josef a raison. Ce traité ne sera pas appliqué.
    Mourad
soupira.
    –
Pardonnez-moi, monsieur Marcus, et toi aussi, papa. Mais vous voyez le monde
tel que vous le rêvez. Je n'ai que dix-huit ans, et moi je le vois bien tel
qu'il est.
    Sous l'œil
interloqué des deux hommes, il tourna les talons et quitta la pièce.
     
     
    *
     
     
    Comme tous
les soirs ou presque, la famille avait pris place sur la terrasse de la maison
dans la clarté diffuse des étoiles. Hussein tirait sur son narguilé d'un air
gourmand. Les glouglous s'amplifièrent. Nadia s'activait devant un métier à
tisser vertical sur lequel on pouvait apercevoir un petit tapis polychrome
presque achevé. Mourad, accoudé au muret qui entourait la terrasse, fixait un
point dans le lointain, en direction du port. Près de lui, Soliman gribouillait
sur une feuille. La petite Samia, elle, dormait en chien de fusil contre la
cuisse de son père. Bercées par le vent, des senteurs de jasmin et de rose
dansaient sur les
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