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Le rêve de Marigny

Le rêve de Marigny

Titel: Le rêve de Marigny
Autoren: Monique Demagny
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cabinets elle parle volontiers de ses proches.
    — Quelle inconvenance !
    — Le roi en est irrité.
    — C’est parfait, elle va à sa perte.
    — Pour être agacé le roi vient toutefois de faire un joli cadeau au frère !
    — La survivance des Bâtiments…
    — La charge appartenait à l’oncle.
    — Quel oncle ? Tournehem n’a aucun lien de parenté avec les Poisson.
    — Avec madame Poisson ?
    On souriait d’un air entendu. Dans ce pays-ci tout se savait, tout se disait, tout se répétait. La rumeur attribuait à l’actuel Directeur des Bâtiments du Roi la paternité de Jeanne, sans doute avec quelque fondement. La fortune naissante de la belle madame d’Etiolles et l’ascension fulgurante de son frère, entraîné par le même mouvement, donnaient une trop belle occasion de médire à tout va. Allait-on s’en priver ?

    Pour Abel la vie allait son train, le temps n’était pas encore venu de se soucier des commérages. À dix-huit ans, il avait l’aimable désinvolture d’un jouvenceau à qui la vie n’avait pas été cruelle. Il évoluait dans les salons avec une grâce exquise et les regards féminins s’attachaient volontiers sur sa grande taille et son visage agréable. On ne pouvait le nier, Abel Poisson était un bien joli garçon. La finesse de ses traits, l’éclat de ses prunelles et son teint délicat comme celui d’une fille, ne manquaient pas d’évoquer l’incontestable charme de la belle madame d’Etiolles. Il avait aussi une incomparable prestance. Leur père, François Poisson, avec son argent, l’oncle Tournehem, grâce à sa puissance, avaient veillé à son éducation. L’Académie Royale pour l’éducation de gentilshommes de la rue de Tournon lui avaitouvert ses portes en dépit de sa roture. Les écuyers et les maîtres de danse l’avaient initié à cette superbe élégance du corps qu’on se plaisait à dire innée et qu’on savait si bien générer. Les maîtres de mathématiques et de langues avaient formé son esprit et ceux qui enseignaient le dessin et la musique l’avaient initié à l’art. Que pouvait-on lui reprocher ? Rien ! Si ce n’était d’être arrivé sans coup férir là où tant d’autres osaient à peine rêver de s’approcher ?
    Dans le premier moment, Abel s’en soucia peu, le monde n’avait qu’à s’en accommoder ! Objet de toutes les jalousies, ce dont il était tenté de s’amuser, il regimbait pourtant à s’accoutumer au nouvel état de choses. Avec l’inconscience de la jeunesse il en concevait de l’impatience. L’intrusion du roi dans sa vie, ou tout au moins dans celle de sa sœur, le chagrinait. Quelle place le roi allait-il prendre dans la vie de Jeanne ? Il ressassait quelque chose qui ressemblait à du déplaisir.

    Ce n’était pas la première fois que Jeanne prenait de la distance avec le cocon familial. Il était encore tout enfant quand elle avait quitté la rue Neuve-des-Bons-Enfants pour aller faire son éducation chez les religieuses de Poissy. Cela avait été une longue absence qu’il avait dû vivre aux mains des gouvernantes et des domestiques, privé qu’il était de son meilleur mentor. Quel ennui que cette parenthèse de l’enfance sans Jeanne ! On pouvait admettre qu’elle n’avait sans doute pas eu son mot à dire, Abel lui avait donc pardonné. À son retour, quelle fête ! Son cœur en chavirait encore. Pourtant à peine avaient-ils pris le temps de s’amuserensemble dans les bals et les salons qu’elle se mariait ! Comme si les choses pressaient ! Ne pouvait-on s’amuser tout son saoul avant de penser à quelque chose d’aussi ennuyeux que le mariage ? À la décharge de Jeanne il fallait dire que l’oncle Tournehem avait concocté cette union avec son propre neveu. Nouveau contretemps dans la vie d’Abel, Jeanne encore une fois le quittait. Si peu. Jeanne ne pouvait pas vivre sans son frère.

    Le château d’Etiolles accueillit donc Abel à longueur de temps. On y faisait du théâtre, la fête continuait. Quel joli temps ! Mais, voilà, la trêve était finie. Un nouveau personnage avait fait son entrée dans le jeu et toute la distribution en était bouleversée. Le roi ! Ce n’était pas rien. Etiolles n’était jamais là, on pouvait prolonger les bonheurs innocents de l’enfance. Avec le roi il allait falloir composer. Fallait-il s’étonner de ce nouveau bouleversement ? Depuis l’enfance on avait toujours appelé Jeanne « Reinette »,
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