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Le rêve de Marigny

Le rêve de Marigny

Titel: Le rêve de Marigny
Autoren: Monique Demagny
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sur la foi de la prédiction d’une gitane qui avait prévu son ascension. Jeanne y avait cru, de tout son cœur, de toute son âme, et s’y était préparée de toute sa volonté. Son destin était d’aimer le roi, et d’en être aimée. Abel se riait de ces sornettes. L’oncle Tournehem était plus crédule, ou peut-être la prophétie lui avait-elle donné une idée. Maîtresse du roi ? Favorite en titre ? Jeanne serait presque reine. Reinette… La place était déjà prise ? Les favorites ne sont pas éternelles. Madame de Châteauroux, l’élue du moment, mourut fort obligeamment. Jeanne attaqua le problème avec subtilité et opiniâtreté.Jour après jour elle se posta dans sa voiture sur le chemin du roi quand il partait à la chasse. Elle se tenait à distance pour ne point choquer mais assez proche pour être remarquée. Sa beauté ne pouvait passer inaperçue.
    L’idylle se noua au Bal des Ifs, le roi qu’on avait craint inconsolable de la mort de madame de Châteauroux revint à la vie. L’oncle Tournehem sut alors convaincre son neveu d’accepter une séparation. L’affaire était jouée, promptement, et Jeanne se retrouvait marquise de Pompadour.
    Tout cela était allé bien vite pour Abel. Il passa l’été 1745 dans le château d’Etiolles où Jeanne, qui aimait tant le théâtre, apprenait avec application son nouveau rôle. Un moment Abel en oublia le roi qui avait eu le bon goût d’être parti à la guerre, celle de la succession d’Autriche ! Le roi de France y venait prêter la main à son allié le roi de Prusse. Le peuple n’y comprenait rien, mais Abel n’y voyait que des avantages. Le roi s’absentait, c’était bien. Dans l’ombre de Jeanne il apprivoisait les contours d’un monde qu’il ne connaissait pas encore, qu’il devinait à peine mais où il devrait évoluer puisque sa sœur l’y entraînait. On n’en était qu’à la théorie, rien ne semblait insurmontable.
    C’était un bel été, peut-être le plus bel été de sa vie. Abel était sur un nuage, tous les bonheurs étaient encore devant lui. La compagnie choisie qui fréquentait le château d’Etiolles n’était qu’un agrément de plus à une si belle saison. L’abbé de Bernis et le marquis de Gontaut dépêchés en cette campagne pour initier Jeanne au monde qui l’attendait apportaient parricochet au petit frère des clés, des artifices, pour ne pas s’égarer dans le dédale de la cour. La verve, l’empressement, l’exubérante intelligence de Voltaire qui s’était glissé là n’étaient qu’un charme de plus. Le philosophe en attendait la faveur royale, les hôtes du château d’Etiolles apprenaient en sa personne à se frotter aux gens de lettres qui font et défont les salons, et peut-être davantage. Abel et Jeanne vivaient une dernière parenthèse avant que les choses ne changent vraiment. La prochaine étape, c’était Versailles. Et Versailles, le frère et la sœur le savaient déjà, c’est un autre pays.

    — Abel ! Vous rêvez !
    Jeanne se fâchait. Abel en fut agacé. Il revint un peu brutalement en l’année 1749 et reprit avec un rien de vivacité le cours de leur débat.
    — J’ai manifesté ma gratitude au roi qui a consenti à m’accorder cet honneur et à monsieur de Tournehem qui m’a affectueusement parrainé.
    La réponse était teintée de défi, Jeanne s’impatienta.
    — J’aimerais vous voir plus souvent à Versailles pour manifester au roi votre reconnaissance pour ses bontés. Au lieu de cela vous préférez courir les salons… et encore, ce n’est rien ! On me dit aussi que vous vous amusez beaucoup. Votre conduite prête parfois à des commentaires désobligeants.

    Abel se sentit bouillir de rage. Ce n’était pas rien que d’être le petit frère de la marquise de Pompadour. Jeanne oubliait-elle que la fréquentation du salon de madame Geoffrin avait contribué à la faire connaître età former son goût ? Il se souvenait de Jeanne, tout juste devenue madame d’Etiolles, demandant à madame de la Ferté-Imbault, la propre fille de madame Geoffrin, de lui permettre de la voir souvent « pour prendre de l’esprit et des bonnes manières ». Elle l’avait bien des fois entraîné aux lundis des amateurs de poésie et aux mercredis des philosophes. Il continuait de s’y rendre seul et d’y former son esprit. Quant aux cabarets et aux filles… Il avait tout juste vingt-deux ans ! Il n’aurait pas le mauvais goût de
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