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Le rêve de Marigny

Le rêve de Marigny

Titel: Le rêve de Marigny
Autoren: Monique Demagny
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branle et s’égailla. Chacun allait maintenant vaquer à ses occupations les plus urgentes. Elles concernaient le souper.
    À Versailles il était important de savoir survivre. Tous ceux qui étaient là y séjournaient souvent si ce n’était à longueur d’année. Ils étaient passés maîtres dans le réseau subtil d’intrigues qui permettaient de se sustenter au mieux, et si cela était possible sans bourse délier. Les plus chanceux, ou les plus malins, trouveraient ce soir leur pitance à une des tables d’honneur tenues par les officiers de la couronne. La plus grande gloire était d’être invité à la table du capitaine des gardes du roi. Vingt-quatre places seulement ! D’autres souperaient àla table du grand chambellan, ceux-là pourraient encore se rengorger de cette distinction. Les autres se disperseraient dans les tables du grand commun où ils avaient leurs habitudes. Les tables étaient bonnes, ils ne pouvaient s’en plaindre. Restait pour les derniers, visiteurs provinciaux de trop petite condition ou officiers subalternes, le recours à l’hostellerie versaillaise. Chacun selon sa bourse y trouverait sa pitance chez les aubergistes et les traiteurs, ou faute de mieux dans les échoppes qui revendaient les restes de la table royale. Tout cela ne pouvait aller sans que les uns jalousent les autres. Aussi chacun s’empressait-il comme si les plats refroidissaient déjà.

    La faim n’empêchait pas la conversation, la grande entreprise des cancans prenant toujours à Versailles le pas sur toute préoccupation. On commentait la liste, on passait au crible un incident de la chasse, on supputait des intrigues, des fortunes en train de se faire, des absences inexpliquées, des présences incongrues. Il y avait beaucoup à dire. À deux pas d’Abel on s’esclaffait. Il en avait entendu assez pour comprendre la plaisanterie. « Courbette », on avait dit « courbette » ! Il connaissait la dernière poissonnade en vogue.
    Poisson, courtisan très plat,
    Fait courbette sur courbette ;
    On le comprend puisqu’il a
    En fait d’échine une arête.
    De toute la force de sa volonté il refusait d’entrer dans le jeu de dupes où on voulait l’attirer. Il s’éloigna. Pas un muscle de son visage n’avait bougé.
    Il reprit son calme en escaladant d’un pas rapide les degrés qui menaient aux petits cabinets. C’était une nouveauté à Versailles que l’institution des petits appartements. Ils étaient récents et donnaient au règne de Louis XV une connotation toute nouvelle et parfaitement originale. Le roi les avait fait construire dans les attiques situés au-dessus de ses appartements, coincés entre la noblesse de l’étage royal et la magnificence des toits. Cette innovation avait produit un enchevêtrement de pièces à la distribution compliquée plus ou moins ordonnée autour d’un labyrinthe de couloirs et d’escaliers. Le roi y avait sa bibliothèque, ses cartes de géographie, ses cuisines, une salle de bains, et sur une terrasse des jardins et des volières. C’était le seul endroit où le roi se sentait chez lui, comme un particulier dans sa maison. C’était surtout le seul endroit où il était à peu près certain de n’être jamais dérangé. Qui ne rêvait pas à Versailles de faire un soir l’ascension vers l’étage où le roi vivait pour lui-même ?
    Dans le corridor un huissier, liste en main, vérifiait l’identité de chaque convive. À Vandières il ne demanda rien, il avait porte ouverte dans les petits appartements. La plupart des invités avaient déjà investi la place, ils attendaient le souper dans le petit salon. Ils étaient dix-huit ce soir-là, il n’en aurait pas fallu plus pour que chacun ait une chaise et sa place autour de la table. Jeanne salua son frère d’un regard et d’un sourire discret et approbateur. Avait-elle craint qu’il se dérobât ? Il eutenvie d’en rire. Elle le prenait toujours pour un galopin qui n’avait pas encore appris les règles du jeu. La compagnie était choisie, agréable, la soirée serait à la fois brillante et familière. Le roi arriva le dernier. Il n’était plus en représentation, il venait seulement profiter de la compagnie de ses amis. Il s’assit près de la marquise de Pompadour et désignant l’autre chaise à son côté il fit un signe à Abel.
    — Petit frère, venez donc près de moi.
    La société était choisie, il n’y eut pas un instant de silence, pas un regard
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