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Le rêve de Marigny

Le rêve de Marigny

Titel: Le rêve de Marigny
Autoren: Monique Demagny
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l’immobilisa.
    — N’oubliez pas, frérot, vous dînez ce soir dans les petits appartements.
    1 . La marquise de Pompadour s’adressait toujours à son frère dans les termes de « frérot », « petit frère », « mon cher bonhomme ». De la même façon, elle désignait toujours Versailles par l’expression « ce pays-ci ». Ces différents vocables apparaissent donc souvent dans leurs conversations.

La foule se pressait au débotté du roi. Il fallait pour le moins y être vu. Chacun espérait qu’avec un peu de chance le roi lui adresserait un mot, et comble de félicité, il pourrait murmurer son nom pour être mis sur la liste , celle des élus qui souperaient ce soir dans les petits cabinets. Par vagues lentes et feutrées la fièvre gagnait la meute des courtisans. Abel s’en amusa un peu sans en rien laisser paraître. Ceux qui frémissaient d’impatience en cet instant savaient bien cependant qu’il y avait rarement une surprise quand l’huissier énumérait le nom des convives. On connaissait les habitués des petits appartements, choisis pour la plupart parmi ceux qui avaient suivi la chasse du jour. Le prince de Croÿ, le comte de Noailles, madame de Brancas… Mais comment se faire distinguer ? Il y fallait des ruses, il y avait des circuits. Parmi les élus certains avaient piétiné longtemps au débotté avant d’être appelés. Le prince de Croÿ en était un exemple. Son élévation soudaine lors qu’on ne l’attendait plus n’avait posé qu’un seul problème et ce n’était pas celui des quartiers de noblesse, il en était largement pourvu. Comment et par quelle entremise avait-il enfin fait le saut ? On dit un moment qu’il avait échoué à se faire inviter par l’entreprise de monsieur d’Harcourt son beau-père, on murmura ensuite qu’il avait franchi victorieusement lebarrage par l’entremise de Pâris de Montmartel. Sans doute fallait-il avoir aujourd’hui l’intelligence des temps nouveaux : un financier valait bien quelques quartiers de noblesse. Le monde avait changé. On louchait en direction d’Abel Poisson de Vandières, ce soir il souperait avec le roi. N’était-il pas le mieux placé ?

    Autour d’Abel dans l’antichambre c’était le brouhaha feutré de ceux qui avaient attendu pour voir ou plutôt pour être vus. Les mouvements lents de cette foule choisie faisaient ou défaisaient des groupes éphémères. Ils faisaient trois pas, quittaient un cercle, en créaient un autre, dans un ballet bien huilé dont ils connaissaient toutes les figures. On y murmurait, on y potinait, à voix basse mais pas trop, juste assez audible pour être entendue de celui qu’on voulait meurtrir. L’agression restait trop subtile pour qu’on pût en faire un esclandre. Abel savait qu’il aurait sa part dans ce beau déballage, il s’était juré pourtant de ne rien remarquer qui visât sa personne. Il passait d’un groupe à l’autre, s’attardait un instant, bavardait, souriait, saluait un nouveau venu. On l’épiait. Il le savait, il le sentait. Il demeurait calme et souriant. On se détournait à son passage d’un mouvement si léger et en apparence si naturel qu’on évitait de le saluer sans que le dédain fût flagrant. Il crut entendre « avant-hier », et il y eut un rire étouffé. On parlait donc de lui ! Il redressa encore un peu sa belle taille, fit peser un regard d’indifférence glacée alentour et passa. Il n’y avait rien là pour le surprendre. C’était dans l’air du moment de l’appeler « marquis d’avant-hier », ce qui était supposé traduire plaisammentmarquis de Vandières. Pure stupidité. Abel n’était pas marquis et dans l’immédiat ne s’en souciait pas. Pour prendre les références de Jeanne, il serait un jour Directeur des Bâtiments du Roi, le grand Colbert qui en son temps avait tenu cette charge n’avait jamais été marquis. Abel s’accommodait de son nom, Poisson de Vandières, Vandières étant une terre acquise de longue date par son père. Mais la sottise ambiante commençait à lui échauffer les oreilles. La plaisanterie était sotte, elle était plus cruelle encore.

    Le roi s’était retiré, la liste avait été dite. Il y eut alors comme un moment de flottement, comme si tout n’était pas joué d’avance, comme si on avait espéré. Peut-être. Pour ce soir encore l’affaire était donc entendue. On reviendrait demain.
    À regret, lentement, la foule agglutinée se mit en
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