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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions
Autoren: Mireille Calmel
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remarquable, Aliénor faisait son entrée dans l’abbaye de Westminster au côté de son époux, forçant le silence et l’admiration. Mon cœur avait cessé de battre. J’avais tant attendu cet instant moi aussi que j’avais l’impression de flotter dans un rêve. La procession qui les avait précédés, composée des grands barons du royaume et de hauts dignitaires de l’Église, s’était installée en demi-cercle dans la nef, de part et d’autre de l’autel. Henri se détacha d’Aliénor et, posant genou à terre tandis qu’elle demeurait immobile, rayonnante de fierté, jura de toujours demeurer fidèle aux commandements de Dieu et de son Église, de soutenir son peuple dans ses douleurs les plus cruelles et d’être pour lui d’une justice irréprochable. Puis, laissant deux clercs lui ôter son bliaud, il offrit son torse, son front et ses paumes ouvertes à l’huile sainte dont on l’enduisit. Lorsqu’il les tendit, brillantes et épurées, pour recevoir des mains de l’archevêque le glaive symbolique qui le plaçait en défenseur de la foi, un frisson que j’attribuai à la froidure des pierres recouvertes de motifs colorés me parcourut tout entière. Thomas Antelburgh et Patrick de Salisbury, deux des familiers d’Henri, lui attachèrent les éperons d’or aux pieds, Gauthier Clifford, un autre de ses barons anglo-normands, lui recouvrit les épaules du manteau royal. J’entendis à peine les mots consacrés, je ne vis ensuite que cette couronne posée au front d’Henri, puis celui d’Aliénor se courber pour la recevoir à son tour avant qu’ils ne gagnent leurs trônes respectifs pour assister à la messe. Autour de nous, la foule des vassaux dégageait une ferveur aussi puissante que celle générée par Bernard de Clairvaux de nombreuses années auparavant, lors de son appel à la croisade. Fut-ce le lien qu’inconsciemment je fis entre ces deux événements, je l’ignore, mais soudain, face à ces êtres emplis autant de solennité que de bonheur, je me sentis défaillir. Au point de devoir m’appuyer au bras de Jaufré, debout à côté de moi.
    — L’émotion ? me demanda-t-il.
    Je ne répondis pas, étranglée par une nouvelle vision furtive. Celle d’un homme, percé par les coups d’estoc de quatre soldats, à l’intérieur même d’une église, devant l’autel. Mon vieil ami Thomas Becket, fidèle de la première heure, qui se tenait présentement à la droite du roi.
     
    J’avais connu Thomas Becket à Paris du temps de ses études et du mariage d’Aliénor avec Louis de France. Proche de la maison Plantagenêt, il m’avait souvent servi de relais vers eux, me rapportant aussi des nouvelles de ma mère. Notre amitié avait été immédiate, au point qu’en riant, connaissant mes origines druidiques et le rôle que je jouais auprès d’Aliénor, il m’appelait affectueusement sa petite sorcière. C’était un être droit, sans ambiguïté, porté à la foi comme d’autres au pouvoir, généreux, ouvert. Il ne reniait rien des anciens rites celtiques, affirmant au contraire qu’ils avaient servi de socle à la religion catholique en Occident et que, somme toute, tous les dieux n’en faisaient qu’un dans la mesure où cette unité reposait sur le concept d’amour. Moi qui exécrais la richesse des prélats et de son Eglise, corrompue par la soif d’un pouvoir temporel et bien éloignée à mon sens des valeurs de Jésus, je m’étais toujours sentie en harmonie avec Becket. Moi la païenne, lui le prêtre, nous nous retrouvions dans les mêmes valeurs d’altruisme, de don de soi, d’ouverture, de fidélité et de tolérance. Nous avancions dans la même direction. Le bien du peuple, une équité plus grande entre lui et ses seigneurs, considérant que ces derniers avaient des devoirs et non seulement des droits. Idées que j’avais enseignées à Henri et qu’il avait déjà mises en pratique de nombreuses fois, soutenu d’un côté par l’Eglise à travers la personne de Becket et de l’autre par la foi druidique qui rendait toute matière vivante et que je portais en moi.
     
    Face à cette nouvelle prémonition, je me sentis perdue. Jaufré se taisait. Sans doute, par les pouvoirs qu’il avait acquis à Brocéliande, perçut-il les mêmes images. La gravité de son visage, tandis que le mien accrochait le sourire satisfait de Thomas, me porta à le croire. La pression de ses doigts sur mon bras aussi. Fallait-il en parler à Becket,
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