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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions
Autoren: Mireille Calmel
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à Henri, ou me taire ? Le doute me transperça. Quoi qu’il en soit, l’horreur de ce crime entrevu et ses conséquences sur le destin de l’Angleterre, je le savais, seraient désormais comme une plaie profonde en moi.

3
     
     
    S i les trois mois qui suivirent me donnèrent l’occasion d’échanger avec Becket, ils me confortèrent dans l’idée de garder secrètes mes prémonitions. Par le passé, j’avais pu constater qu’intervenir trop tôt pour empêcher un événement pouvait y conduire par le fait même de l’avoir influencé. Jaufré m’en avait d’ailleurs convaincue. Il fallait tirer profit de cet enseignement et, plutôt que dénoncer, veiller. L’heure n’était pas à la destruction, bien au contraire. Henri avait, à juste titre, nommé Becket chancelier royal, invité les shérifs à lui rendre des comptes et, pour ceux de ses barons qui refusaient les nouvelles règles du royaume en faveur de ses petites gens, décidé de quelques expéditions punitives. C’est ainsi que certains qui réduisaient leurs valets à merci eurent la désagréable surprise de le voir enfoncer leur porte, le sourcil mauvais et l’épée au poing.
    — Ne dormez-vous donc jamais ? s’étonna l’un d’eux, arraché du lit.
    — La colère m’en empêche, répondit Henri en lui pointant la lame au menton, avant de le mettre, comme les autres, au pas.
    Aliénor et moi, de notre côté, n’étions pas en reste de besogne. Londres était une jolie ville, étirée sur la rive gauche de la Tamise, ponctuée de beffrois et de clochers.
    Des castels fortifiés dressaient eux aussi leurs nombreuses tours vers l’occident. À l’est se trouvait un palais puissamment fortifié et dont la légende voulait que du sang animal ait servi à gâcher les fondations. Entre eux, la cité resserrait un réseau étroit de ruelles où les commerces prospéraient. Ici c’était un oiseleur, là un apothicaire, ici encore un marchand de chevaux dont la réputation affirmait la qualité des bêtes pour les courses ou les jeux de voltige. Partout les cuisines publiques fleurissaient, annonçant une richesse de mets indescriptible. Si l’on était loin de la tristesse de Paris, il nous avait fallu gagner, par un joli pont de pierre, l’autre rive du fleuve rendue aux pâtures, aux champs et aux forêts, et renoncer au palais royal de Westminster, trop délabré.
    Dès les premiers jours après notre arrivée, nous nous étions donc installés en la résidence de Bermondsey en attendant que les imposants travaux décidés pour sa rénovation soient achevés. Hélas ! l’endroit était à peine plus attrayant, tant Etienne de Blois l’avait négligé. Outre les murs salpêtreux, le manque de lumière et l’odeur de moisissure qui avait imprégné jusqu’aux pierres de l’âtre, inutilisé, tout y manquait. Des nappes de lin, de l’huile pour les lampes, des coussins et des matelas de laine qu’il fallut commander dans les Comwall, des tentures de brocart pour changer celles, déchiquetées, qui pendaient aux fenêtres, des tapisseries en provenance des Flandres, de la vaisselle. Tout. Au point que, exaspérée devant tant de désolation, dans cette cuisine où nous venions d’entrer et que désespérément je fouillais, Aliénor avait fini par lever les bras au ciel :
    — Existe-t-il quelque chose en cet endroit qu’il ne me faille pas acheter ?
    Lui tirant la langue, je lui avais mis sous le nez une cuillère de bois que je venais de dénicher dans un coffre au couvercle à moitié dégondé. Son prix se trouvait encore attaché au long manche par une ficelle. Le rire de ma reine avait éclaté sous la voûte de cette pièce circulaire ponctuée de cheminées, de fours rendus aux araignées, gagnant l’intendant qui nous suivait et qui notait scrupuleusement les avoirs et les manques de la maisonnée. Le voyant inscrire la pièce à son registre, elle l’avait arrêté.
    — Non, mon bon ami, celle-ci, je la garde en trophée !
    En quelques jours, l’anecdote de la cuillère de Bermondsey fit le tour du royaume, amusant même quelques théâtreux qui la mirent en saynète. S’il n’y avait eu que cela ! Partout on se mit à chanter une Aliénor trépidante, vive, courageuse et décidée à rendre sa superbe au royaume, réclamant du poivre, de la cannelle, du cumin, du safran. Une Aliénor qui, pour fortifier ce ventre tendu de l’avant, faisait venir du vin d’Aquitaine, incitant çà et là
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