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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions
Autoren: Mireille Calmel
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j’en ignore la raison, j’attends que vous me la donniez.
    — Ma femme…
    Bernard fronça les sourcils qu’il portait broussailleux et épais au-dessus d’un regard intense souligné par la droiture de son nez. Ainsi ses craintes étaient fondées. Depuis son arrivée en Angleterre, et bien qu’Aliénor le tienne en retrait, il n’avait cessé de palpiter pour elle du moindre de ses souffles et espérait voir refleurir en son cœur son attachement passé. Le retour de campagne d’Henri, un mois plus tôt, avait gâté ses projets. Aliénor ne quittait plus son époux. Jaufré et lui se relayaient pour les distraire, avec d’autres chantres, et Bernard avait dû se rendre à l’évidence. Son heure auprès d’Aliénor était passée et force lui était de constater, ce jourd’hui, qu’Henri savait tout de la vérité.
    Il ne chercha pas à nier, conscient qu’il était des hommes avec qui il valait mieux ne pas jouer.
    — Hier n’est ni aujourd’hui ni demain, Votre Majesté. J’ai retenu la leçon du roi de France. Je ne suis ici que pour Marie, que la reine m’accorda de voir.
    Henri apprécia sa franchise. Aliénor ne lui avait pas dissimulé que, des deux filles nées de son hyménée avec Louis de France, la première portait sang de troubadour et que sa relation adultérine avec ce dernier était définitivement terminée. Ventadour avait eu la sagesse de se faire oublier quelque temps avant de solliciter de nouveau audience à la cour d’Angleterre. Henri n’avait guère hésité longtemps avant de la lui accorder, tant la délicatesse de son talent courait de bouche à oreille. De plus, son orgueil le poussait à croire que cet homme d’une beauté sombre et tourmentée, à la carrure massive quoique mollement tournée, servi pourtant par un œil assorti à ses boucles d’ébène, se perdrait face au charisme et à l’ardeur que lui, Henri Plantagenêt, roi d’Angleterre, dégageait.
    Sa jambe en suspens dans le vide s’immobilisa enfin et son sourire grandit sur sa face mangée de barbe, au mépris du jugement des abbés qui voulaient tuer la mode en rasant au plus près les poils de toutes sortes.
    — Ainsi donc, tu prétends que mon épouse me fut fidèle…
    — Elle ne le fut pas, messire…
    Henri se durcit.
    — … Elle l’est.
    Henri se relâcha, d’autant qu’un profond soupir agitait Bernard.
    — Elle vous aime comme jamais elle n’aima avant de vous rencontrer.
    — Le regrettes-tu ?
    Bernard haussa les épaules.
    — Qui suisse, moi, simple troubadour, pour revendiquer ne serait-ce qu’un regard ? Elle me l’offrit et j’en porte en secret le souvenir et l’audace. Pour rien au monde pourtant je n’en voudrais davantage. Son bonheur me suffit et c’est de vous qu’il est né.
    Henri sauta à bas de son siège précaire, et, malgré lui, Bernard sursauta.
    — Pas d’inquiétude, mon ami. Si j’avais douté d’autre réponse tu serais déjà gueule ouverte dans un fossé.
    Cet argument ne rassura guère Bernard, qui ploya sous le poids de la main d’Henri sur son épaule. L’œil de son roi se voila d’autorité.
    — J’apprécie ton chant et regretterais de devoir nous en priver.
    — Cela ne sera pas, messire.
    La paume massive tapota amicalement le fermail en émail qui retenait le mantel de toile grossière.
    — Bien… très bien…, conclut Henri avant d’entraîner son rival, rassuré, vers la porte et d’ajouter : Il est une autre raison qui, en vérité, justifie ma clémence.
    — Laquelle, monseigneur, que je puisse la noter ?
    Henri s’immobilisa de nouveau pour le fixer, l’œil soudain animé d’une lueur indéfinissable.
    — Tu me l’as dit toi-même, Louis de France te hait et j’apprécie le méchant tour que tu lui as joué… Profite de ta fille autant qu’il te sied, mais avec la discrétion des sages.
    Bernard hocha sa belle tête carrée que de fins cheveux bouclés encadraient. Sans le savoir, Henri venait de conquérir, par son geste, victoire plus grande qu’il ne pensait.
    — C’est à un grand roi que je me soumettrai…, lui répondit Bernard de Ventadour en se redressant enfin pour mieux apprécier, avec la tenaille d’Henri autour de son épaule, la faveur de son amitié.

4
     
     
    M algré le souvenir de ces prémonitions qui, par intermittence, me broyait le cœur, j’avais tout pour être heureuse. Eloïn courait partout, faisant enrager sa nourrice. Camille, ma fidèle chambrière
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