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Le prince des ténèbres

Le prince des ténèbres

Titel: Le prince des ténèbres
Autoren: Paul C. Doherty
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Chapitre Premier
    La brume, surchauffée par la canicule de la journée, s’était levée au-dessus de la Seine en lourdes volutes grises et fantomatiques qui, rendant la nuit plus horrible encore, avaient enserré les maisons et les palais de Paris. Le couvre-feu avait sonné, rues et venelles étaient plongées dans un silence que rompaient seulement les chats en maraude et les truands des bas-fonds, à la recherche, tels des rats, de quelque proie facile. Eudo Tailler, soi-disant négociant en vins de Bordeaux, mais en fait agent d’Edouard Ier d’Angleterre et de son maître espion Hugh Corbett, se glissa furtivement dans une ruelle et se dirigea, poignard à demi dégainé, vers le bâtiment sombre et délabré qui formait l’angle de la rue.
    La journée avait été très belle, l’été splendide faisant mentir les prophètes de malheur, ces Jérémie qui avaient annoncé que la première année de ce nouveau siècle verrait des pluies de feu fondre des nuées et le sang jaillir et souiller les cieux. Rien de tout cela n’était advenu. Arrivé à Paris à la Saint-Jean de l’an de grâce 1300, Eudo avait au début découvert peu de chose de suspect. Bien sûr, cela allait à l’encontre de l’avis de ses maîtres en Angleterre, convaincus que le roi de France, Philippe IV, complotait pour s’emparer, par force ou par ruse, du duché de Guyenne. Le maître espion du roi de France, Amaury de Craon, se trouvait déjà à pied oeuvre en Angleterre, fouinant dans les moindres recoins douteux de la Cour pour y dénicher de savoureuses bribes de scandale.
    Eudo se jeta soudain sous un porche noyé d’ombre : le guet – quatre soldats portant lanternes et lances – passa, l’allure martiale, près de l’entrée de la ruelle. L’espion se rencogna. Oh ! les motifs de scandale ne manquaient pas en Angleterre, pensa-t-il, la plupart concernant le prince Edouard et son ancienne maîtresse, Lady Aliénor Belmont, que l’on avait bannie au prieuré de Godstowe. Cette situation déjà déplorable s’était récemment détériorée : le prince venait de trouver l’amour de sa vie en la personne, non pas d’une noble damoiselle, mais d’un homme, le jeune sodomite gascon Piers Gaveston. Quelle aubaine pour Craon ! songea Eudo. Il allait certainement s’en saisir pour attiser les braises de la calomnie et en tirer une belle flambée d’opprobre ! Afin de s’emparer de la Guyenne, les Français s’acharneraient à détruire la réputation du prince et, si cela échouait, insisteraient – en hypocrites qu’ils étaient – pour que l’héritier du trône d’Angleterre fût fiancé à la fille du roi de France, Isabelle, selon les termes du traité de paix imposé à l’Angleterre quelques années auparavant.
    Oh ! les Français s’étaient montrés fort astucieux ! Le roi Edouard était pris au piège, de quelque côté qu’il se tournât ! Pas étonnant que le supérieur d’Eudo, Hugh Corbett, haut magistrat à la Chancellerie, lui eût envoyé toute une série d’instructions lui enjoignant de percer à jour les desseins mystérieux des Français ! Eudo sourit. Sa pêche avait été fructueuse et lui vaudrait sûrement une belle récompense. En effet, il avait découvert qu’en Angleterre un membre de la famille maudite des Montfort, un assassin, suivait le monarque comme son ombre et en voulait à sa vie. Il avait fait parvenir ce renseignement au roi Edouard quelques semaines auparavant, mais sans aucun effet visible, aussi en avait-il reparlé dans sa dernière lettre à Corbett.
    Eudo s’épongea le front. Il avait accompli sa mission. À Corbett et au roi de faire bon usage de ce qu’il leur avait transmis. Et il en avait appris davantage : non seulement les Français tramaient quelque vilenie autour de la personne de Lady Aliénor Belmont – l’ancienne maîtresse du prince –, mais ils avaient un espion à Godstowe, là où elle était enfermée…
    Eudo entendit décroître le pas des soldats du guet. Rajustant sa cape, il saisit son poignard et poursuivit son chemin. Comme à l’accoutumée, le mendiant lépreux était accroupi au coin de la ruelle, en face de la maison.
    — Tout va bien ? chuchota Eudo.
    Il distinguait à peine la silhouette recroquevillée, pelotonnée dans ses hardes, mais il vit la tête aux cheveux argentés s’incliner imperceptiblement tandis qu’une main squelettique se tendait pour recevoir l’obole habituelle. Il déglutit en cachant
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