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Le prince des ténèbres

Le prince des ténèbres

Titel: Le prince des ténèbres
Autoren: Paul C. Doherty
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un doigt sur ses lèvres :
    — Pas encore, Piers ! Car que dirait mon père, et que dirait Lady Aliénor ?
    Gaveston lui jeta un regard noir en se demandant une fois de plus s’il avait vraiment réussi à briser l’emprise de cette garce d’Aliénor Belmont. Edouard détourna les yeux. Gaveston prendrait-il garde au présage ? Il l’aimait plus que sa vie même, mais n’osait souhaiter qu’il poursuivît son ascension sociale. Il l’observa à la dérobée : le Gascon était séduisant, certes, mais Édouard connaissait les côtés les moins avouables de sa personnalité. Il avait vu les deux figurines de cire jaune que possédait son amant : l’une, coiffée d’une couronne, représentait le roi, tandis que l’autre était revêtue de la robe écarlate des prostituées – terme qu’employait Gaveston pour parler de Lady Aliénor. Le regard du prince se perdit dans la pénombre de la forêt. Tous ces secrets, toute cette tension ! Quand mourrait donc son père ? Et surtout, quand crèverait cette vipère d’Aliénor ?
     
     
    D’une fenêtre haute du palais de Woodstock, le seigneur Amaury de Craon, espion, assassin et envoyé spécial de Philippe IV de France, observait la troupe royale qui revenait par l’allée sinueuse et semée de graviers. Il eut une pensée fugitive pour Lady Aliénor en contemplant les deux silhouettes qui chevauchaient, si proches, en tête du cortège : le prince et Gaveston bavardaient comme David et Jonathan au retour de la chasse. Craon les couvait d’un regard mauvais. Certes, il n’aimait pas Lady Aliénor, mais, à la vue de Gaveston, il se sentait des envies de meurtre.
    Il inspira profondément, essayant de maîtriser sa fureur, et il leva les yeux. Le jour s’achevait. Les bannières portées devant le prince claquaient et frémissaient sous la brise qui avait fraîchi. Craon frissonna et s’emmitoufla dans sa cape. Avec ses traits accusés et anguleux, sa barbiche et sa chevelure rousses, on aurait dit un renard curieux en train d’épier l’approche d’une proie. Dieu tout-puissant ! fulmina-t-il. Comme il haïssait ce Gaveston ! Le Gascon n’était guère que le fils d’un franc tenancier parvenu et d’une sorcière de Guyenne, plus précisément d’une sorcière qui avait été condamnée à être brûlée vive, enchaînée à un tonneau en pleine place du marché à Bordeaux. Comment contrer Gaveston ? se demanda Craon pour la énième fois. Avant son départ de Paris, son maître, Philippe IV, l’avait pris à part dans son cabinet secret du Louvre, tout drapé de velours, et lui avait exposé sa mission. Ils avaient pris place à une table nue où la lueur d’une unique bougie tremblait dans un chandelier.
    — N’oubliez jamais, Craon, lui avait réaffirmé le roi, que la Guyenne est entre les mains d’Édouard d’Angleterre, alors qu’en toute justice elle devrait être mienne !
    Philippe avait empoigné le chandelier et enchaîné :
    — Elle a failli l’être, mais Sa Sainteté le pape est intervenu. À présent, Édouard a la Guyenne et moi un traité de paix.
    L’agent avait attentivement scruté le visage du monarque.
    — Cependant, avait précisé ce dernier d’un ton hargneux, j’ai bien l’intention d’avoir la Guyenne, le traité de paix, et plus encore ! Selon la volonté du Saint-Père, Édouard s’est marié avec ma soeur, ce qui ne me gêne pas, mais son écervelé de fils, lui, doit épouser ma chère fille, dès qu’elle sera nubile.
    Si cela a bien lieu, un de mes petits-fils montera sur le trône d’Angleterre et un autre sera duc d’Aquitaine. À long terme, il se peut que cette province et l’Angleterre même passent à la couronne de France.
    Le roi Philippe avait marqué une pause, en humectant ses lèvres exsangues.
    — Cependant tout cela, c’est dans un avenir lointain ; il y a une voie plus immédiate que je peux suivre. Vous allez vous rendre en Angleterre pour confirmer les fiançailles de ma fille, mais vous exigerez qu’aucun scandale n’entache le nom du prince Edouard qui devra éloigner de sa personne sa maîtresse, Aliénor Belmont. Sinon…
    Le roi avait eu un de ses rares sourires.
    – … à la lumière de ce scandale, j’en appellerai au Saint-Père, le traité sera déclaré nul et non avenu, et mes troupes envahiront la Guyenne en moins d’une semaine. Il y a des chances pour que le prince accepte ces conditions – je crois savoir qu’il est lassé de cette
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