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Le prince des ténèbres

Le prince des ténèbres

Titel: Le prince des ténèbres
Autoren: Paul C. Doherty
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femme – auquel cas une troisième voie m’est ouverte.
    Le monarque s’était levé, avait contourné la table et chuchoté à l’oreille de Craon des instructions secrètes. Un rictus sur les lèvres, l’envoyé se les remémorait à présent. C’était peut-être cette dernière voie qu’il devrait suivre. Il serra les poings d’exaltation : il pourrait mieux régler de vieux comptes, non seulement avec le roi Edouard, son fils sans scrupules et ce débauché de Gaveston, mais également avec Messire Hugh Corbett, son rival et ennemi de toujours.
     

CHAPITRE II
    Hugh Corbett, haut dignitaire de la Chancellerie et maître espion d’Édouard d’Angleterre, était la proie d’un affreux cauchemar. Il se tenait sous l’un des ormes imposants qui se dressaient près de l’enceinte du prieuré de Godstowe dans l’Oxfordshire. C’était la fin de l’été. Le soleil brillait, mais il régnait cependant un silence inquiétant que nul chant d’oiseau ne venait rompre. Tout près de lui, un pendu se balançait à une grosse branche, la nuque brisée, la tête inclinée, telle la victime de quelque sacrifice antique ou la figure de la Mort au tarot. Corbett avait fortement envie de se retourner, mais ne le pouvait pas. Son regard était rivé sur les fenêtres – orbites vides – du prieuré. Il fit deux ou trois pas. Aucun son ne troublait le silence qui lui glaçait le sang, si ce n’est les vains criaillements de paons aux yeux cruels et la mélodie faiblement rythmée du plain-chant désincarné des religieuses.
    Poussé par les ombres de son cauchemar, Corbett traversa une pelouse luxuriante, puis, sans apercevoir le moindre signe de vie, remonta l’allée de graviers jusqu’au portail du couvent. Le loquet n’était pas fermé. Il poussa la porte entrebâillée et entra. Il faisait très froid dans le sombre édifice. La cire perlait d’une rangée de bougies qui le guidèrent jusqu’au bas d’un escalier de pierre abrupt. Leurs flammes vacillantes dessinaient des silhouettes dansantes sur les parois du vestibule silencieux. Une jeune femme gisait au bas des marches, comme endormie. De son visage à demi tourné sous le capuchon rabaissé, il ne distingua qu’une joue d’une pâleur d’ivoire. Il s’approcha à pas de loup et s’agenouilla pour retourner le corps. Les bras de la morte retombèrent mollement comme les ailes d’un oiseau tué. Il repoussa le capuchon, s’attendant à voir Aliénor Belmont, l’ancienne maîtresse du prince Édouard, mais il poussa un cri d’effroi muet : les traits, figés par l’étau glacé de la mort, étaient ceux de son épouse, Maeve. Dans l’obscurité au-dessus de lui, un rire moqueur et grave salua sa découverte. Il sursauta et se réveilla, trempé de sueur, sur sa couche du manoir de Leighton.
    Pantelant, il s’assit sous le dais bleu et or tendu entre les colonnes sculptées de son grand lit à baldaquin. La fenêtre craquait sous les assauts répétés du vent qui gémissait. « Ai-je fait un mauvais rêve, se demanda Corbett, ou ai-je rencontré un spectre de la nuit ? » Il se hâta de regarder à sa droite, mais Maeve était plongée dans un doux sommeil, sa chevelure blond argenté répandue, tel un halo, sur l’énorme oreiller. Il se pencha pour l’embrasser tendrement sur le front. Le hululement solitaire d’une chouette en chasse et les cris d’agonie d’un petit animal dans l’obscurité sinistre des halliers réveillèrent sa profonde mélancolie.
    Il se leva, revêtit un vêtement de nuit, puis alluma une chandelle avec de l’amadou et une petite bougie. Quand il tira l’épaisse et lourde tenture qui protégeait le mur du fond, les lueurs tremblotantes redonnèrent une vie fantomatique aux personnages qui y étaient brodés. Il fit pression sur un levier habilement dissimulé : la boiserie tourna lentement sur ses gonds huilés, dévoilant l’accès à son cabinet secret. Cette pièce aux murs chaulés, parfaitement carrée, était le coeur de ses activités. C’était là le seul endroit où il pouvait s’isoler pour réfléchir, organiser et prendre toutes les mesures possibles pour contrer les ennemis du roi, en Angleterre comme à l’étranger.
    Il s’étira et ressentit une vive douleur à l’épaule, là où, des mois auparavant, Luce, le chanoine dément, l’avait poignardé. Corbett avait survécu, soigné par Maeve, son épouse depuis maintenant six mois et déjà enceinte de neuf semaines. Il
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