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Le prince des ténèbres

Le prince des ténèbres

Titel: Le prince des ténèbres
Autoren: Paul C. Doherty
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les soeurs âgées, Dame Elisabeth et Dame Martha, s’en étaient abstenues. Quant à Dame Amelia et à ses acolytes, nul doute qu’elles trôneraient bientôt dans la chapelle, savourant leur puissance. Lady Aliénor fit volte-face en entendant le vieux bâtiment craquer. Il était hanté, disait-on, habité par des fantômes… En tout état de cause, ce n’était guère une résidence pour une jeune femme, pour la maîtresse d’un des personnages les plus importants du royaume.
    Elle se rassit sur le lit, se mordillant les lèvres, puis se releva nerveusement et revêtit sa cape, caressant sa bague, dernier cadeau du prince – un énorme saphir qui brillait de mille feux. Elle tourna la tête, l’oreille tendue. Il y avait une autre sorte de bruit, elle en était sûre, pas seulement le craquement des marches. Quelqu’un s’avançait à pas feutrés dans le couloir. Maintenant – non, elle ne rêvait pas ! – on s’approchait de sa chambre. Elle jeta un coup d’oeil à la porte. Heureusement, elle avait tourné la clef dans la serrure. Elle tapota ses cheveux et rabattit son capuchon. Elle regrettait que Dame Agatha ne fût pas à ses côtés. Elle avait peut-être eu tort de la renvoyer. Le bruit, à nouveau… Elle se figea et vit le loquet s’abaisser. La terreur s’empara d’elle, soudain, mais c’était trop tard. Elle entendit frapper doucement à la porte et sut qu’il lui fallait répondre.
     
     
    Lady Aliénor occupait les pensées de moult grands personnages ce jour-là. Le prince Édouard et son favori, Piers Gaveston, s’étaient, une fois de plus, violemment querellés à son sujet avant de se réconcilier et de décider qu’une partie de chasse viendrait fort à propos les divertir. Ils venaient de quitter le palais de Woodstock, suivis de leur entourage, de gardes, de rabatteurs et de palefreniers. Revêtus d’atours aux couleurs vives et chatoyantes, ils montaient de somptueux chevaux bien nourris, à la robe soignée, caparaçonnés de bleu et d’écarlate, sellés et harnachés de cuir incrusté d’argent doré. Les bannières tissées d’or claquaient fièrement au vent, les cors d’argent lançaient leurs appels stridents, on s’interpellait… La chasse royale s’enfonçait sur les chemins poussiéreux de l’Oxfordshire qui serpentaient entre de grands champs de blé dépourvus de barrières, où, à côté des moyettes empilées, les paysans travaillaient à rentrer les moissons.
    Le soleil était encore chaud dans le ciel d’un bleu limpide. De chaque côté du sentier, l’herbe vibrait du grésillement des grillons et du trottinement des campagnols et des mulots fuyant les moissonneurs. Une alouette s’élança dans l’azur, ses trilles célébrant la pure joie de vivre, tandis qu’à la lisière voisine merles et grives chantaient à qui mieux mieux. Soudain un épouvantail noirâtre, semblant surgir de nulle part, bondit sur le chemin : ses longs cheveux de jais flottaient comme des ailes de corbeau autour de son visage émacié et ses haillons ressemblaient à des bandes de tissu plaquées sur son corps décharné. Le prince leva la main et la petite troupe fit halte.
    Il avait immédiatement reconnu l’homme : un prophète fou qui rôdait sous les murs du palais depuis quelque temps et prétendait venir de la Forge du Diable, cette région de sables brûlants au sud de la Méditerranée. Sa silhouette crasseuse et dépenaillée s’était immobilisée, mais ses yeux flamboyaient comme des charbons ardents.
    — Prenez garde ! s’écria-t-il d’une voix de stentor. Prenez garde à la mort et à la honte ! Prenez garde à la chair douce et parfumée des catins, allongées sur leurs lits de plumes et hurlant de luxure !
    Il fulminait et la colère fit trembler le bras noueux qu’il leva.
    — Oh ! hommes dépravés qui buvez du vin dans des coupes profondes, prenez garde ! Ce siècle sera purifié par la Mort elle-même ! Rappelez-vous mes paroles, la Mort rôde dans ces funestes forêts, montée sur son cheval pâle ! Elle sera bientôt là ! Prenez garde, débauchés et catins !
    Le groupe de courtisans vêtus de soie qui chevauchaient derrière le prince ricana, gloussa et s’éloigna. Le regard du prophète se posa soudain sur la haute silhouette blonde du prince qui se tenait, le dos voûté, sous la bannière or et azur d’Angleterre. L’ermite plissa les paupières.
    — Repentez-vous ! clama-t-il d’une voix sifflante. Vous,
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