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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista
Autoren: Maurice Denuzière
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jeune homme au regard mélancolique pour un littérateur.
     
    – Le premier lieutenant, M. Philip Rodney, officier en second, est retenu à bord. Quant à notre chirurgien et apothicaire, M. David Kermor, plus connu sous le nom d'Uncle Dave, il est en ville dans sa famille. Vous ferez plus tard leur connaissance, compléta Lewis Colson, fort attaché aux convenances.
     
    Charles Desteyrac aurait été incapable de donner un âge au major Carver. D'une taille inférieure à la moyenne, cet homme mince, sec, droit comme une lame dans un habit ajusté comme un fourreau, offrait l'image d'une insolente rigidité. Cheveux courts, visage glabre, traits nets, joues creuses, il posait sur les êtres et les choses un regard gris, froid, indifférent. Charles avait vu, dès leur premier entretien à Paris, comment il savait tenir à distance les gens que sa position ne lui faisait pas obligation de fréquenter. On devinait que ses préoccupations n'étaient pas celles du commun des mortels, qu'il assumait de pesantes et discrètes responsabilités. Le Français avait décelé dans le comportement du major l'austérité du protestant méthodiste, l'assurance du militaire habitué à commander, l'aisance de l'aventurier bien né. Il avait apprécié la courtoisie d'une personnalité qui inspirait plus de curiosité que de défiance.
     
    Restait à découvrir un autre trait du caractère de cet homme, qui fut bientôt révélé. Le domestique, après avoir prodigué ses soins à la victime de l'Irlandais, apparut discrètement derrière son maître. Sur un signe, il posa sur la desserte un coffre gainé de cuir, qu'il ouvrit tel un placard, faisant apparaître, dans leurs alvéoles tapissés de velours grenat, les éléments d'un précieux service à thé. Il retira théière, tasse, soucoupe et pot à lait de fine porcelaine de Minton, qu'il disposa sur un plateau d'argent. Puis, à l'aide d'une cuillère de nacre, Poko, d'une boîte de laque noire incrustée de filigranes d'or, transféra dans la théière des feuilles de thé si odorantes que Desteyrac en perçut à distance le parfum. Une servante, dépêchée par l'aubergiste, apparut à point nommé avec un pichet d'eau bouillante. En silence et avec une componction que Charles, amusé, estima rituelle, l'Indien versa lentement l'eau dans la théière, dont il rabattit le couvercle avant de déposer le plateau devant M. Carver. Il alla ensuite prendre place, debout, bras croisés, dans l'ombre de la salle.
     
    Seul Charles fut intrigué par cette mise en scène ; les autres étaient accoutumés à voir le major prendre son thé d'une manière si raffinée et si égoïste. En attendant que le breuvage infusât, Carver, absorbé jusque-là dans la lecture de documents placés sous ses yeux par l'écrivain au regard triste, se tourna vers l'ingénieur.
     
    – Je viens d'apprendre que nous sommes contraints, monsieur, de retarder notre départ d'une journée, par la faute de personnes moins ponctuelles que vous. Nous devons attendre, d'une part des passagers dont l'embarquement n'était pas prévu, d'autre part du matériel dont l'acheminement a été retardé par le chemin de fer. Vous voudrez bien excuser ce retard. Je vous invite donc à passer une nuit au Saint George. Les consignes ont été données pour que vous y soyez traité au mieux. Demain après-midi, deux matelots iront prendre vos bagages, et si vous rejoignez le Phoenix , sur Saint Katharine's Dock, vers cinq heures de l'après-midi, ce sera parfait. Le commandant nous donnera à dîner à bord et nous lèverons l'ancre dans la nuit, avec la pleine mer.
     
    – Plutôt au petit matin, major. La marée est annoncée pour six heures, précisa, maussade, le capitaine Colson.
     
    Comme Charles se préparait à prendre congé, le major le retint.
     
    – Il est probable que vous serez amené à rencontrer, à l'hôtel Saint George, où j'espère bien qu'il finira par arriver, un de nos retardataires, l'honorable Malcolm Cuthbert Murray. C'est un jeune architecte, neveu de lord Simon Leonard Cornfield. Il doit embarquer avec nous.
     
    En gagnant l'hôtel, sous des tourbillons de neige, derrière un commissionnaire chargé de ses bagages et un porteur de lanterne délégués par le tavernier à la demande du major, Charles Desteyrac ressentit un peu d'agacement. Edward Carver ne lui avait pas dit, à Paris, lors de son engagement, qu'un architecte anglais, qui plus est neveu du lord des îles,
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