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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista
Autoren: Maurice Denuzière
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pourrait être qu'involontaire.
     
    Chercher à localiser, sur un globe terrestre ancien ou sur une carte contemporaine, Soledad et Buena Vista, parmi les sept cents îles qui constituent l'archipel des Bahamas, serait vain.
     

PREMIÈRE ÉPOQUE
     
    Sous le signe de Neptune
     

1.
     
    Passé le seuil de la taverne, Charles Ambroise Desteyrac eut le sentiment grisant d'entrer de plain-pied dans le monde hasardeux et divertissant de l'aventure.
     
    « Nous nous reverrons le 5 janvier 1853, à l'enseigne du Red Eagle, sur le port de Liverpool », avait dit Edward Carver. Desteyrac arrivait au rendez-vous.
     
    Les deux hommes s'étaient rencontrés à Paris, un mois plus tôt, au lendemain du 2 décembre 1852, marqué par la mutation plébiscitaire de la république française en empire. Sans discuter les conditions offertes, le Français avait accepté la proposition de l'Anglais, à qui l'avait adressé un professeur d'architecture hydraulique, son mentor.
     
    Construire routes et ponts sur une île de l'archipel des Bahamas, dont il n'avait jamais entendu prononcer le nom et dont il ignorait l'exacte position géographique, constituait pour ce jeune polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, une façon inédite de passer de la théorie à la pratique de son art. C'était aussi, mais il n'eût osé l'exprimer, tenter de trouver le subtil équilibre entre deux penchants de sa nature : action et contemplation.
     
    Alors que la plupart de ses condisciples de l'École des ponts et chaussées, diplômés de l'année, se préparaient à entrer dans la nouvelle administration impériale, Charles Ambroise Desteyrac, Auvergnat pugnace, avait choisi l'entreprise exotique. Fils d'un médecin libéral tombé sous les balles des soldats de Marmont au cours de la révolution de 1830, il refusait de servir Napoléon III, qu'il tenait, comme ses amis républicains de stricte obédience, pour futur tyran. Cet exil volontaire lui permettait aussi, décision moins avouable, de mettre fin à une liaison dont l'agrément s'était émoussé avec le temps.
     
    Descendu du train qui mettait la capitale britannique à six heures du plus grand port du monde, l'ingénieur avait repéré ce qu'il cherchait : un aigle de tôle, peint en rouge, ailes éployées, qui se balançait en grinçant dans le vent d'hiver. L'inscription en lettres d'or, Red Eagle, se détachait sur la peinture bleu cobalt du fronton de l'établissement. Après avoir déposé son bagage, il devrait maintenant attendre, dans le décor pittoresque de cette taverne, l'arrivée d'Edward Carver, l'homme de confiance du lord propriétaire d'une île anglaise de l'archipel des Bahamas.
     
    S'il ne vit pas, attablés en compagnie d'hommes à la mine inquiétante, Henry Morgan, son perroquet sur l'épaule, Roc le Brésilien et François l'Olonnais, tels qu'enfant il les imaginait d'après les récits de Daniel Defoe, Desteyrac, à la lueur des quinquets suspendus aux poutres, d'un seul regard, à travers la fumée bleutée des pipes, embrassa la plus belle sélection, virile, fruste, voire interlope, de vagabonds des mers.
     
    Les marins en bordée, même si leur langue et leur accoutrement diffèrent d'un continent à l'autre, ont en commun un goût prononcé pour les boissons fortes et les filles. Les clients du Red Eagle ne faisaient sans doute pas exception à la règle, mais le patron de la taverne, taillé en hercule, teint vermillon, avant-bras velus, voix aux sonorités d'orgue, veillait à ce que chacun payât son dû, se tînt tranquille, respectât les servantes, seules représentantes du beau sexe, et vidât les lieux dès qu'il cherchait querelle à son voisin. Car on buvait copieusement dans cet établissement renommé pour sa bonne tenue et la qualité de sa table, fréquenté par toutes les professions maritimes, de l'officier galonné au gabier, en passant par le quartier-maître et le commis aux vivres, auxquels se mêlaient des subrécargues, des pilotes, des courtiers et, même, des agents des douanes. Sur les tables, épais plateaux de chêne lustrés par les coudes de dix générations de buveurs, se succédaient les pintes de bière, brune ou blonde, les verres de rhum, de ratafia ou de pink gin – gin rosi d'un trait d'Angostura bitters –, cordial préféré des navigateurs anglais.
     
    La porte refermée sur la fraîcheur humide d'un crépuscule hivernal, Desteyrac s'avança entre les tables en fronçant les narines. Malgré
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