Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista
Autoren: Maurice Denuzière
Vom Netzwerk:
fut pas de même de celle du colosse, que beaucoup semblaient connaître.
     
    – Tiens, voilà Barberousse, retour du pays des tourbières ! s'écria l'un.
     
    – Salut, Tom O'Graney ! lança un autre, plus aimable.
     
    – Ma parole, il nous apporte un cadeau ! avança un troisième, faisant mine de s'emparer du paquet enrubanné.
     
    – Bas les pattes, vermine de l'enfer ! cria le géant.
     
    Cette voix rageuse, mais flûtée comme celle d'un enfant, fit se gausser les uns, rire franchement les autres. Ce timbre de castrat, inattendu chez un tel athlète, n'étonna que Charles Desteyrac. Il comprit qu'en interpellant l'Irlandais on avait voulu provoquer une réplique qui révélerait à toute la compagnie cette disconvenance cocasse.
     
    Comme pour faire pièce aux moqueries, la plus jolie des serveuses s'avança vivement à la rencontre du nouveau venu.
     
    – Ta mère t'envoie ça, dit simplement l'homme en lui tendant le paquet.
     
    Il reçut en échange un baiser sur la moustache, ce qui éveilla la gouaille des consommateurs les plus proches. Une clameur grivoise et des quolibets rabelaisiens fusèrent au milieu des rires.
     
    – Il en a de la chance, ce sacré Tom… Dommage qu'il puisse pas en profiter, les gars ! lança un buveur.
     
    – C'est-y pas malheureux qu'un malabar comme ça ait rien dans la culotte pour faire plaisir aux filles, renchérit un autre avec une feinte commisération, prenant ses voisins à témoin.
     
    – Moi, je le remplacerais bien ! J'ai des moustaches et tout ce qui va avec ! lança gaillardement un quartier-maître en essayant de prendre la taille de la serveuse.
     
    Il n'eut pas loisir d'achever son geste. L'Irlandais fit un pas en avant et le gifla avec une telle vigueur que l'homme tomba du banc où il était assis. Remis sur pied par ses voisins, le marin essuya d'un revers rageur le sang qui suintait de sa lèvre fendue et, le regard en feu, tira de sa poche un couteau à cran d'arrêt dont le ressort fit jaillir une lame.
     
    Tom O'Graney attendit l'attaque sans ciller. Quand l'homme se jeta sur lui, pointant la lame vers le bas-ventre, l'Irlandais lui saisit le poignet et le tordit avec une telle force que Desteyrac crut entendre les os craquer. Contraint de lâcher son couteau, le marin égrena un chapelet d'injures à l'intention de ses compagnons, dont aucun ne manifestait le désir de lui prêter main-forte. Plusieurs consommateurs s'étaient levés pour suivre le déroulement de la bagarre quand le tavernier, alerté par l'altercation, sortit au trot des cuisines, suivi de deux aides armés, l'un d'un tisonnier, l'autre d'un hachoir. Ils n'eurent pas à intervenir pour séparer les adversaires. L'Irlandais, tenant ferme le poignet du quartier-maître, l'obligea à reprendre place sur son banc. Il lui plaqua la main sur la table, ramassa le couteau et encloua proprement le membre du marin dans le chêne. Au cri que poussa l'homme, le buveur de thé abaissa son journal, jeta un bref regard sur la scène qui se déroulait à l'autre bout de la salle et reprit tranquillement sa lecture. Un tohu-bohu s'ensuivit ; éclats de voix, jurons, menaces ne semblèrent pas impressionner le grand roux, qui dominait de la tête et des épaules ceux qui, maintenant, l'entouraient, prêts cette fois à seconder le tavernier.
     
    Desteyrac quitta sa table pour ne rien perdre d'un spectacle qui relevait à ses yeux de l'essence même de l'aventure. Il subodorait que l'expulsion de l'Irlandais n'irait pas sans rudes échanges, quand la porte de la taverne s'ouvrit à nouveau pour livrer passage à un individu encore plus étrange, personnage funambulesque, porteur d'une nouvelle promesse de mystère et de risque. Teint olivâtre, collier de barbe noire, traits virils, coiffé d'un turban orné au repli d'un cabochon d'argent, cet étranger avait la fière allure d'un maharaja. La large ceinture de soie qui serrait son caftan retenait un kandjar dont la poignée et le fourreau ornés de gemmes en faisaient une arme d'apparat. L'homme, que Desteyrac identifia comme un sikh, parcourut la salle d'un regard sévère avant de s'effacer devant Edward Carver. Vêtu d'un long carrick gris à trois collets, cravaté de soie blanche jusqu'au menton, ganté de buffle, l'Anglais ôta son chapeau de castor, le secoua pour en faire tomber quelques flocons de neige et marqua un temps d'arrêt. Le tavernier, oubliant les querelleurs, se précipita à sa rencontre,
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher