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Le Pont de Buena Vista

Le Pont de Buena Vista

Titel: Le Pont de Buena Vista
Autoren: Maurice Denuzière
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préférons la monarchie et les Anglais, comme les Écossais et les Gallois, aiment comme une mère Sa Majesté, la reine Victoria.
     
    –  God save the Queen ! lança le capitaine en levant son verre de bière, qui n'était pas le premier de la soirée.
     
    Le médecin et Desteyrac l'imitèrent.
     
    – Je ne vous demanderai pas, messieurs, de porter un toast au fringant Napoléon III, qui n'est qu'un passant, mais à la France éternelle, proposa, volontairement emphatique, l'ingénieur.
     
    Tous les convives de la table, même étrangers à la conversation, s'exécutèrent avec bonne humeur. Desteyrac crut nécessaire d'offrir une tournée générale de porto, qu'on servit avec le fromage de Stilton.
     
    L'honorable Malcolm Cuthbert Murray choisit cet instant pour apparaître dans la salle à manger. D'emblée, Charles le classa dans la catégorie des dandies, que les familiers du boulevard des Italiens nommaient gommeux ou gants jaunes. Pâle, le regard incertain, Murray, un peu trop élégant pour le lieu et la saison, se laissa tomber plutôt qu'il ne s'assit sur le premier siège à sa portée, comme si une trop grande fatigue l'empêchait d'aller plus loin. Il salua d'un bref signe de tête la compagnie, s'empara d'un verre et s'octroya une rasade de porto. Sa grimace indiqua qu'il ne trouvait pas au breuvage la saveur d'un grand cru. Les Anglais traitèrent avec indifférence le nouveau venu ; Murray, sans doute habitué à plus de considération, s'adressa à la cantonade, du ton d'un petit-maître.
     
    – Sait-on où se trouve, à cette heure, un certain Edward Carver ?
     
    – Le major Carver est sans doute à bord du Phoenix , répondit Charles Desteyrac.
     
    – Eh bien, qu'il y reste ! dit Murray.
     
    – Ne devez-vous pas vous-même embarquer demain sur ce bateau, monsieur ? demanda Charles, agacé par l'arrogance du jeune homme.
     
    – Si je ne puis faire autrement, certes. Mais, qui êtes-vous donc pour être si bien renseigné ?
     
    Charles se présenta, précisant qu'il embarquerait lui aussi sur le Phoenix le lendemain dans l'après-midi.
     
    – Ce Carver vous aurait-il accepté comme passager payant ?
     
    Charles Desteyrac détrompa son interlocuteur et révéla qu'en tant qu'ingénieur des Ponts et Chaussées il avait été recruté, à Paris, pour accomplir certains travaux sur une île dont le major Carver semblait être l'intendant.
     
    – Non ! Un ingénieur des Ponts ! Diable ! Mon vieil oncle se prend pour Charles-Auguste, duc de Weimar ! Voilà bien ses idées de grandeur ! Un ingénieur des Ponts, et français de surcroît ! Pour quoi faire, My God , sur un morceau de corail perdu dans les Caraïbes, où les sauvages se barbouillent le corps de peinture et mangent leurs morts encore tièdes ! Je vous mets en garde : le lord des Bahamas, comme il se plaît à se faire appeler, est un vieux fou.
     
    – N'êtes-vous pas architecte, monsieur ? insista Charles.
     
    – Carver vous a dit ça ! Mais je ne suis pas, moi, au service de mon oncle. Ma visite est d'ordre… familial, conclut le jeune homme en emplissant son verre, qu'il vida à petites gorgées avec la même moue dégoûtée.
     
    Charles Desteyrac se garda de relancer la conversation. Le repas terminé, le jeune médecin suggéra une expédition du côté de Paradise Street où l'on pouvait, chez certaine entremetteuse et en y mettant le prix, jouir des charmes un peu verts de fillettes de douze ans. Le capitaine barbu, comme Desteyrac, déclina l'invitation, mais Murray l'accepta aussitôt. Avant de quitter la table, le médecin des lanciers crut nécessaire de justifier son escapade.
     
    – Comprenez-moi, messieurs ; dans un mois, je n'aurai plus à mettre furtivement dans mon lit, entre le thé et le dîner, que les épouses infidèles et désabusées de fonctionnaires ou de militaires abrutis par les fièvres, le gin et le haschich, ou alors des intouchables tatouées, d'hygiène douteuse.
     
    – Et moi, intervint Murray, je devrai me contenter de sauvagesses cannibales ! Allons voir, Monsieur l'Officier, si les filles de Liverpool ont autant d'imagination et de doigté que nos filles de Chelsea, lança l'architecte en se préparant à quitter la salle sans un salut.
     
    – Allez, mes jeunes amis, et que Dieu vous ait en sa sainte garde, dit le vieux marin, bon enfant.
     
    Restés tête à tête, le Français et le capitaine allumèrent leur pipe et se firent
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