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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux
Autoren: Pierre Naudin
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préféré employer un mot plus conforme au vocable qui ressortissait de la fauconnerie. Parmi tous les rapaces, le Breton s’était fait une place de choix.
    Il distinguait enfin cette face funèbre et dans celle-ci la bouche vorace ; celle de tous les appétits et de toutes les soifs. On savait dans l’armée qu’il mangeait comme un loup, n’importe quoi, n’importe quand, n’importe comment, et qu’il mêlait – sans retenue et sans la moindre conséquence – les vins de toute espèce, la cervoise, l’hydromel, l’hypocras et jusqu’à l’oxycrat (434) rongeur des estomacs faibles. Il avait horreur des principes et des contingences, des congrafiliations et conseils, sauf, évidemment, ceux du roi. Il jouissait au plein sens du verbe quand il s’apprêtait à livrer bataille. Verser le sang devenait non son devoir mais sa joie de vivre. Il clamait à tous vents qu’on allait triompher. Il oubliait toutes les mêlées où les. Goddons l’avaient capturé après qu’il eut juré de les déconfire. Ce jour d’hui, il se drapait à la fois dans un paletoc de tiretaine noir, fourré de mouton, et dans sa réputation de guerrier hors pair. Le sourire qui, à la vue de Pierre de la Jugie, venait d’élargir son visage altérait la bénignité qu’il voulait qu’on y trouvât et la changeait en grimace. Celle-ci s’aggrava quand il eut distingué Paindorge, Lemosquet et Lebaudy par-devant les clercs angoissés.
    « Il m’a distingué mais sciemment il m’ignore… Ah ! Enfin, son regard cherche le mien. »
    –  Avoue, Castelreng, que Dieu sait disposer les choses à mon avantage et à ton détriment !
    – Je n’en suis pas, Bertrand, si asségur (435) que toi. Ce pourrait être Bélial, Satan ou quelque Asmodée de ton parrainage qui ait apprêté notre rencontre.
    La bayle avait fait : «  Oh ! » Pons de Missègre joignit ses mains pour conjurer la malfaisance de ces démons dont l’évocation le terrifiait. Penché sur l’encolure de son cheval, Pierre de la Jugie se boucha les oreilles cependant que tous les clercs se signaient et que les hommes d’armes grondaient d’une fureur superficielle qu’une seule échauffourée eût réduite en lambeaux.
    Tristan restait en selle : à terre, face à ce capitan alourdi de titres espagnols qu’il lui fallait conquérir pour se parer de leurs noms chantants et colorés, il se fut senti dans un état d’infériorité ou d’injustice. Si le roncin du Breton fournissait des signes d’impatience Malaquin qui, lui aussi, connaissait l’Espagne, demeurait quiet et vigilant. Et s’il lui advenait d’encenser, on eût pu croire à une manifestation d’insolence envers cet homme à la voix et au visage singuliers et ce cheval paré comme une châsse ou un évêque en procession du Saint-Sacrement.
    –  J’ai su que tu avais quitté Bordeaux longtemps avant moi.
    – C’est vrai.
    – Sans acquitter de rançon alors que la mienne fut magnifique.
    – Tu as voulu qu’il en soit ainsi. Pour filer, tu as évoqué les fileuses. Le prince Édouard ne demandait pas la grosse rançon que tu as choisie toi-même… D’ailleurs, tu n’en as pas senti le trou dans ton coffre… ou ton butin de guerre puisque c’est le roi qui a crache au bassinet.
    Guesclin éluda ces propos d’un gros rire qui, passant à travers sa selle, indisposa son cheval : il sabota le sol pierreux de ses antérieurs comme s’il y cherchait lui-même un trésor.
    – C’est au cours d’une joute, Castelreng, que tu as obtenu ta liberté. J’en aurais fait autant si j’avais pu le faire. Mais j’étais en geôle…
    – Une geôle dorée.
    – Hideuse ou dorée, une prison reste une prison… Quand j’ai su que tu avais vaincu tous ces grands seigneurs hautains et vengé nos morts de Nâjera, je crois bien par ma foi que j’ai versé des larmes.
    Tristan sourit. Cet homme-là mentait : il n’accordait jamais de louange à autrui, pas même à ses satellites quand ils perpétraient des occisions qu’il eût aimé commettre, mais dont il savait qu’elles eussent préjudicié sa réputation d’honnête homme.
    –  Je te retrouve, Castelreng, en bel et bon état. Je t’en congratule… Te souviens-tu de Nâjera ?
    Les morts de Nâjera hurlent souvent à mes oreilles… moins fort, cependant, que ceux de Briviesca. Moins fort que ces deux enfants que tes hommes ont brisés, rompus, anientis 303 gaiement, sans doute à ta demande.
    Tristan
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