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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux
Autoren: Pierre Naudin
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son propre sang – qui sans doute était noir – agissait sans crainte de s’exposer à la foudre divine, puisque le roi, qui tenait sa souveraineté de Dieu, lui accordait sa bienveillance. Charles V était la trame et Bertrand la chaîne. Ils se complétaient : le bon et le mauvais, l’eau bénite et le feu, l’huile ou le saint chrême et le vinaigre. Il n’existait point à ce jour d’aussi singulière alliance.
    – On dit, et on me l’a rapporté de plusieurs côtés, que le roi a l’intention de me faire son connétable… Tout ce que je veux, je l’obtiens… Si par malheur pour toi je réclame ta tête, elle tombera… Tu t’es conduit jadis d’une façon douteuse…
    Guesclin, la face tournée vers Pierre de la Jugie, tendit vers l’accusé un doigt gainé de cuir.
    – Messire l’archevêque ! Cet homme-là s’est fait sans vergogne l’ami des Juifs !… Lesquels Juifs tout comme les Mahomets sont les amis de Pèdre, notre adversaire à tous, nous gens de bonne souche !
    C’était un comble d’ouïr cela.
    – Tu as persécuté les Juifs avec une volupté qui enténèbre encore mes pensées !… Nous n’étions pas venus en Espagne pour que toi et tes Bretons, tes routiers et tes Anglais se livrent à toutes ces actions qui, c’est vrai, putréfient désormais ma mémoire et empoisonnent mon sang !
    – Que sais-tu des desseins du roi de France ? Et s’il m’avait enjoint d’assainir ce pays ?
    La question désempara Tristan. C’était donc vrai, ce dont il avait douté de moins en moins, de Barcelone à Nâjera ? Le très chrétien Charles V avait profité de cette guerre pour éliminer du peuple espagnol des gens qu’il estimait abjects ?
    – Tu vas venir avec nous. Regarde !
    Tristan obéit. Quinze ou vingt Bretons l’entouraient. S’il essayait de tirer son épée, il serait outrepercé. Il ne fut point surpris que Pierre de la Jugie eût fait reculer son cheval ni que Paindorge et ses deux autres compères fussent, eux aussi, menacés.
    – Si tu viens sans broncher, Castelreng, j’aurais envers toi des égards particuliers… Et envers toi aussi, Paindorge… Je laisse les deux autres à monseigneur l’archevêque…
    Le Breton s’adressa au prélat ébahi :
    – Monseigneur, si vous refusez, il y aura bataille au lieu même où nous sommes… Quelques tranchants d’épée pourraient voler vers vous sans que vos clercs et vos hommes d’armes puissent les détourner. La menace était rude ; elle fut suivie d’effet :
    –  Je ne vois point d’objection, messire Guesclin, à ce que vous… m’empruntiez le chevalier de Castelreng et son écuyer…
    – Je fais cela au nom du roi. Et si vous le voulez, je puis – j’ai quelques clercs, moi aussi – vous en donner quittance !
    Des clercs ! Des clercs qui soulevaient leur bure pour violer pucelles et enfants des deux sexes. Telle était l’armée de France comme d’ailleurs l’armée d’Angleterre.
    – Viens, Tristan, dit Guesclin. Ce n’est que pour quelques mois. Pèdre est déjà vaincu. Nous l’abattrons sans mal. Ensuite, je t’en fais serment, le roi et moi te laisserons en paix.
    – Le roi…
    – Il t’aime bien, Castelreng. Commence avec moi cette quarantaine ! Tu ne peux faire autrement !
    Dix Bretons à cheval entouraient Guesclin. Parmi eux, le Bègue de Villaines exprimait par un maigre sourire son plaisir de voir un homme qu’il n’aimait point pris au piège.
    – Et si je refuse ?
    – Comment pourrais-tu refuser ? Veux-tu crever ici dans l’ignominie plutôt que de m’assister dans mon combat contre Pèdre et en obtenir largesses et renommée ?
    Le Bègue de Villaines n’arborait pas son écu habituel mais, par anticipation sans doute, un bouclier en forme de cœur frappé en un canton des armes espagnoles : d’argent à trois lions de sable, au franc-quartier de Castille et de Leôn.
    –  Venez… Cas… Castelreng. Cette fois, Pèdre ne nous vaincra… p… point. Les Goddons restent en… en… en Aquitaine. Nous… ferons, croyez-moi, un ggggrand essart de mauvaises gens.
    S’agissait-il des Juifs ? Le vieux guerrier se félicitait peut-être de son bégaiement pour exprimer au mieux sa gêne.
Allons. Sang-Bouillant, décide-toi !
    Ce n’était pas Bagerant qui l’appelait ainsi, mais Sevestre Budes, un autre cousin de Bertrand. Et quel cousin : si l’un était un aigle, l’autre était un vautour 307 .
    « Je suis entre leurs
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