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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre
Autoren: Robert Merle
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grands chemins ?
    — Nenni, ils n’oseraient. Mais nos campagnes contre les
huguenots ont laissé des séquelles : des bandes armées de soldats
déserteurs ou, pis même, des bandes de mercenaires qu’on a licenciées et qui
s’en retournent chez eux, non sans ravager tout sur leur passage, tuant les
manants, volant les vivres, forçant les garces. Ceux-là sont redoutables, parce
qu’ils savent la guerre.
    — Et ceux-là nous pourraient attaquer, dis-je, et
pourquoi ?
    — Mais pour s’emparer de nos armes, de nos chevaux et
du carrosse du roi.
    À ouïr ce propos, je me sentis un peu moins content à l’idée
de m’ococouler deux semaines, une pour l’aller et une autre pour le retour,
dans les satins et les ors d’un carrosse de Sa Majesté, mais j’éprouvai en même
temps je ne sais quel aiguillon à la pensée de me battre en aussi bonne
compagnie que celle des mousquetaires et, bien entendu, de tailler en pièces
les méchants qui nous oseraient courir sus.
    Mais comme bien l’on sait, rien ne se passe vraiment comme
on l’avait prévu, que l’événement soit heureux ou malheureux. En ce voyage, que
ce fût de Paris en Angers ou d’Angers à Paris, nous n’essuyâmes pas la moindre
mousquetade. Je dormis à l’étape soit chez l’évêque, soit chez le maire, et
chez l’un comme chez l’autre fis bonne chère, sauf qu’il me fallut avaler aussi
les homélies de l’un et les harangues de l’autre. Une fois, une seule fois,
« quelque bonne noblesse du lieu », pour citer Monsieur de Clérac,
m’offrit une hospitalité qui, par ses étrangetés et les enseignements que j’en
tirai, me paraît digne d’être contée en ces Mémoires.
    Cela se passa à La Flèche où notre avant-garde avait obtenu
des jésuites du célèbre collège de bailler à mon escorte le gîte d’une nuit. Je
m’y rendais, quand j’aperçus par la portière un petit galapian courir à
l’essoufflade le long de mon carrosse en brandissant un papier. Je criai au
cocher de s’arrêter et penchant ma tête hors, je lui demandai ce qu’il voulait.
    — C’éti vous, dit-il haletant, qui étions un comte qui
voyagions dans un carrosse du rey ?
    — Oui, ne vois-tu pas ses armoiries sur la porte ?
    — Ça serait donc vous qui étions le comte
d’Orbieu ?
    — Oui-da.
    — Alors, je devons vous bailler ce billet d’un dame.
    Mais ce disant, loin de me le remettre, le petit vas-y-dire
tendit le bras en arrière pour le mettre hors de ma portée.
    — Eh bien, baille ! dis-je, qu’attends-tu ?
    — Que vous me payons, dit-il, la dame ne m’avons rien
donné, ni liard ni maille.
    Je regardai mieux ce grand barguigneur. Il n’avait pas dix
ans, quasiment en loques et fort barbouillé, mais l’œil vif.
    — Comment se nomme la dame ?
    — M me  la baronne de Candisse.
    — Je ne la connais point. Qu’est-ce qui te fait croire
que je vais te payer ta course ?
    — J’allions vous le dire : elle étions belle comme
une sainte vierge.
    — La Sainte Vierge, dis-je, t’aurait payé ta course.
    — Mais point M me  de Candisse !
Elle étions chiche-face à tondre un œuf !…
    Je ris et lui baillai un sol pour payer sa course et deux
pour m’avoir égayé. Il considéra ces trois sols dans le creux de sa menotte
sale avec émerveillement et les enfouit enfin au plus profond de la poche
rapiécée de son haut-de-chausse, avec un rapide regard à la ronde qui voulait
dire : « Eh maintenant ! venez me les prendre si vous
l’osez. »
    Je lui demandai alors qui était la baronne de Candisse, et
il me dit :
    — C’étions une veuve bien garnie.
    — Et de quel âge ?
    — Du vôtre, Monsieur le Comte.
    Là-dessus, il n’en dit pas plus et rangeant sa langue dans
sa bouche aussi soigneusement que mes pécunes dans sa poche rapiécée, il
s’ensauva.
    Je lus le billet. Il était fort élégamment tourné, et comme
je l’avais déjà deviné, Madame de Candisse m’offrait le gîte d’une nuit.
Toutefois, je noulus m’embarquer sans biscuit et je dépêchai mon écuyer à la
baronne pour lui porter mes remerciements et mes compliments et aussi accepter,
ou refuser, en mon nom son invitation, selon le jugement qu’il porterait sur la
dame.
    — Monsieur le Comte, me dit La Barge à son retour avec
un sourire malicieux qui faisait sinuer sa bouche. Si cette invitation, se
peut, vous a baillé quelques idées de derrière la tête, boutez-les hors sans
tant languir.
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