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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre
Autoren: Robert Merle
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la
fin, il parla, mais au bec à bec avec moi, et comme toujours, avec pertinence.
    — Mon ami, dit-il, dans un combat longuissime,
incertain et douteux, il arrive toujours un moment où l’événement, tout
soudain, bascule et désigne avec clarté celle des deux parties qui va gagner,
et cette partie ce jour d’hui, c’est nous.
    Je me demandai alors si j’allais le croire ou le décroire,
m’apensant que son enthousiasme l’emportait peut-être trop loin sur les ailes
de l’espoir. Les Anglais, me disais-je, n’étaient pas battus du seul fait que
nous nous trouvions bien envitaillés. Assurément nous l’étions, mais combien de
temps allaient durer nos vivres ?
    En fait, de Toiras et de moi, c’est lui qui avait raison,
son opinion étant fondée sur des faits et des informations qu’il ne m’avait pas
communiqués, non pas qu’il n’eût pas toute fiance en moi, mais en vertu de son
caractère gascon, à la fois bavard et secret.
    Je le sus plus tard : par ses mouches dans l’île, il
connaissait admirablement la condition des Anglais et elle était devenue fort
mauvaise tant physiquement que moralement.
    Que lointaine était maintenant pour eux l’ivresse de la
victoire après Sablanceaux. Ils avaient occupé, sans coup férir, l’île et ses
villages et regardaient avec quelque condescendance ces unhappy few [94] enfermés dans les murs de leur
citadelle.
    Mais le temps, le temps inexorable avait mis presque à
égalité dans la mésaise et le malheur les assiégés et les assiégeants. Londres
avait de prime secouru Buckingham en vivres, en écus et en munitions. Mais le
siège s’éternisant, les Anglais ne crurent plus à la victoire :
l’expédition de l’île de Ré, pensèrent-ils, comme l’expédition de Cadix où
Buckingham s’était précédemment jeté, finirait par un désastre. Cadix pouvait
encore se justifier par l’intérêt qu’il y avait à lutter contre l’Espagne,
ennemie de jadis et de toujours. Mais cette guerre contre la France, notre
alliée depuis Henri IV et Élisabeth I re  ! Cette guerre
engagée pour les beaux yeux d’une femme dont le portrait trônait comme une
idole dans le château du vaisseau amiral ! Une femme et, qui pis est, une
Française et une catholique !… Jamais Buckingham n’avait été plus haï et
honni, sa personne plus méprisée, sa guerre plus impopulaire.
    En outre, le trésor était à sec, et Charles I er ,
roi de peu d’autorité, mais qui se voulait absolu, n’arrivait plus à trouver
l’argent pour secourir son favori. À tous les échelons de l’État, il
n’encontrait que mauvais vouloir, retardement, lanternement et désobéissance.
    Les armateurs ne voulaient plus affréter de vaisseaux pour
l’île de Ré, de peur qu’ils fussent à l’arrivée réquisitionnés par Buckingham.
On vit des situations proprement scandaleuses : le maire de Bristol, de
mèche avec l’armateur, empêcha de partir pour l’île de Ré un navire chargé de
vivres.
    Pendant ce temps, les pauvres Anglais dans l’île, mal payés,
mal vêtus, souffraient tout comme nous de la faim. Malgré les ordres de leurs
officiers, ils se jetaient sur nos vignes, et n’ayant jamais vu de raisins que
sur les images de leur Bible, ils les mangeaient par grappes entières, payant
cet exploit par un dérèglement des boyaux et un pâtiment qui n’en finissait
plus. Ils se plaignaient en outre que le vin rétais, qu’ils buvaient
immodérément (l’eau des puits étant devenue rare), leur gâtait le gaster, et
réclamaient à cors et cris la bière, leur bonne bière anglaise ! La
Rochelle les avait aidés au début, mais depuis que les Rochelais avaient
eux-mêmes déclaré la guerre au roi de France, ils n’avaient plus qu’un
souci : s’envitailler eux-mêmes à suffisance.
    La mésentente entre Buckingham et ses colonels, de contenue
qu’elle était de prime, éclatait meshui au grand jour. Pour les colonels,
Buckingham était un béjaune ignorant et arrogant, un mignon sans étude ni vertu,
qui ne devait qu’à la faveur déhontée de deux rois d’être le premier dans le
royaume. Pour Buckingham, les colonels n’étaient que des barbons encroûtés dans
l’ornière des routines séculaires.
    Les relations entre les marins et les soldats, qui n’avaient
jamais été fort bonnes, s’étaient détériorées. Les marins avaient de tout temps
quelque peu déprisé les gens de pied qui rampaient sur terre comme des fourmis,
et y
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