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Le Lys Et La Pourpre

Le Lys Et La Pourpre

Titel: Le Lys Et La Pourpre
Autoren: Robert Merle
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courage de remonter aussitôt en selle en cas de
chute.
    Si bien je me ramentois, on nous apprenait aussi les soins
que nous n’aurions jamais à prendre en notre âge mûr : l’étrille, la
brosse, le tressage des crinières et des queues, le soin des sabots et le
curetage des fers : toutes choses qu’il fallait bien que nous sussions
pour les commander plus tard à nos écuyers, sans oublier bien entendu le souci
du ferrage, de l’avoine, de la paille et du seau d’eau que le cheval vide en
une seule lampée : car ce magnifique animal, qui pèse cinq ou six fois
notre poids, est aussi notre enfantelet et nous lui prodiguons comme une mère
des soins infinis.
    À y bien penser – et fallait-il, pour y penser, que
nous soyons menacés de les perdre ? – le cheval était notre plus
intime compagnon. Pour le voyage, certes, mais aussi pour la chasse à courre,
pour la course à la bague et, superbement paré, pour les magnifiques carrousels
qui se déroulent sur les grandes places publiques devant le roi et sa cour.
    Mais si déjà ces liens étaient puissants, qu’étaient-ils
pour les gentilshommes qui servaient dans la cavalerie du roi, et qui au
combat, ne faisant plus qu’un avec leur monture, s’élançaient sur leur dos dans
ces charges puissantes, grisantes et meurtrières, qui les menaient l’un et
l’autre à portée des mousquets ennemis.
    — Monsieur de Toiras, dis-je, je vous plains de tout
cœur d’avoir demain à faire cette annonce. Je serai à vos côtés, si vous
l’estimez utile. Et si mon cheval doit périr, puis-je vous dire que j’aimerais
qu’il suive de peu l’exemple du vôtre. Vous attendez-vous à quelque sorte de rébellion ?
    — Nenni, mais à des pressions pour que je mette fin à
un combat jugé perdu.
    — En capitulant ?
    — Personne n’ose encore prononcer le mot. Mais la chose
hante déjà beaucoup d’esprits. Comte, j’aimerais en effet que vous soyez demain
à mes côtés, de prime pour ce que vous venez de dire touchant votre Accla, qui
est forte et vaillante parole ; et ensuite pour me soutenir par votre
seule présence.
    — Mon ami, dis-je, comptez sur moi. Je serai là demain
à vos côtés.
    — Mille mercis, Comte, dit gravement Toiras en se
levant. Pardonnez-moi de vous quitter si tôt, ajouta-t-il en reprenant son ton
vif et expéditif, mais j’ai ce soir à ménager une petite entreprise dont
j’attends beaucoup, et dont je parlerai demain à nos soldats.
    Il se leva de ma table, et je l’accompagnai jusqu’à l’huis,
observant qu’il marchait d’un pas las, la tête baissée. Cependant, comme il
atteignait la porte il se tourna vers moi. Je vis avec surprise une petite
flamme de gausserie gasconne briller soudain dans son œil.
    — Mon cheval sacrifié, dit-il, si moi aussi je meurs,
j’aurai du moins dans ma tombe une grande consolation.
    — Diantre ! dis-je, une consolation dans la
tombe ! Et laquelle ?
    — Ceux qui me survivront n’auront pas à léguer mon
cheval à Bouquingan…
     
    *
    * *
     
    Les matinées en la touffeur de cet été se trouvaient si
chaudes que Toiras décida de convoquer à la pique du jour les officiers et
volontaires sur le terre-plein devant sa maison, lequel ne méritait aucunement
le nom de prairie tant l’herbe était haute et jaunie à l’exception çà et là de
touffes vertes d’orties dont la vue me ramentut aussitôt la pauvre
Marie-Thérèse et sa vaillance à vivre.
    À observer mes compagnons de siège ainsi rassemblés et se
tenant à peine debout, une grande compassion me tordit le cœur tant ils étaient
en le plus misérable état qui se peut concevoir de maigreur et de malallance,
le teint tantôt blafard, tantôt jauni, les yeux creusés et les dents saillantes
du fait de la quasi-disparition des joues.
    — Messieurs, dit Toiras, nous ne devons pas nous le
cacher à nous-mêmes : notre prédicament est dramatique. Nous sommes au
bout de nos vivres. J’ai donc décidé d’un dernier recours qui vous fera
grand-peine, et à moi aussi, mais qui nous permettra de survivre assez
longtemps pour que les secours arrivent jusqu’à nous. Vous l’avez deviné. Nous
allons faire l’ultime sacrifice que commande en pareil cas l’héroïsme des
assiégés. Nous allons tuer, l’un après l’autre, nos chevaux afin de nous en
nourrir. Je vois bien que cette décision vous fait grand chagrin et que vous en
pâtissez tout autant que celui qui l’a prise, et qui ne l’a
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