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Le lit d'Aliénor

Le lit d'Aliénor

Titel: Le lit d'Aliénor
Autoren: Mireille Calmel
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le cours de ses pensées. Je savais à quel point il lui avait fallu faire violence à sa peur pour oser s’affronter lui-même.
    Lorsqu’il parvint au pied d’un aulne, en bordure du Clain, Jaufré se tourna vers moi et m’enlaça tendrement. Alors, doucement, comme si de ces mots dépendait tout mon devenir, je murmurai dans un souffle :
    – Merci.
     
    Trois jours plus tard, soit ce 18 mai 1152, les cloches de la cathédrale Saint-Pierre s’ébranlèrent au grand vent. Dans le chœur où seuls quelques intimes étaient rassemblés, ceux, fidèles, sur lesquels Aliénor savait pouvoir compter, la duchesse d’Aquitaine, le regard empli d’une fièvre passionnée, se laissait passer au doigt l’anneau nuptial par Henri, comte d’Anjou et duc de Normandie.
    Lorsque ces deux-là s’embrassèrent, une joie immense m’envahit. Aussitôt suivie par une douleur violente dans mon ventre, qui m’arracha un cri. Les regards convergèrent vers moi, coupant court à l’étreinte fougueuse des jeunes épousés. Je levai vers Jaufré un regard effaré, car je venais de comprendre ce qui m’arrivait. Entre mes cuisses, un liquide chaud et poisseux coulait en abondance, tandis qu’une nouvelle contraction me pliait à genoux.
    – Seigneur Jésus ! s’écria la voix aiguë de dame Mathilde, qui n’avait pas manqué de venir assister à la cérémonie. Elle va enfanter !
    Elle se précipita, précédant Aliénor et Henri qui s’exclama d’une voix forte mais joyeuse :
    – Voyez, mes amis, combien mon mariage est un don de Dieu ! Mais, bon sang, Loanna de Grimwald, saurez-vous un jour faire les choses comme tout le monde ?
     
    Éloïn, ma fille, reposait sur mon sein, rose et jolie comme un bouton de printemps. Sa venue au monde avait été longue et douloureuse, mais à présent j’étais bien. Il faisait grand jour dans la chambre et la petite tétait goulûment mon sein. C’était ce picotement inconnu qui m’avait tirée du sommeil.
    – Ta mère serait fière de toi, Canillette, me lança dame Mathilde en caressant mon front.
    Je souris à sa tendresse. Mathilde la dure, Mathilde l’intransigeante, avait pour moi le regard d’une mère. Aliénor souriait elle aussi. Son visage rayonnait d’un bonheur immense.
    – Tu dois mourir de faim, je vais te faire porter collation. D’ailleurs, le petit ange est endormi, affirma-t-elle.
    En effet, Eloïn reposait la bouche entrouverte, béate contre mon sein que la chemise découvrait.
    – Ma fille, ma lumière, murmurai-je, tandis que dame Mathilde se penchait pour l’emporter délicatement vers un berceau qui avait atterri là durant mon sommeil.
    Lorsque je fus de nouveau seule, des larmes de bonheur se mirent à couler, tandis que mon regard s’attachait au berceau où ma fille dormait. Puis Jaufré parut, et elles redoublèrent de tendresse. Il m’embrassa fougueusement, et ce fut lui qui cette fois murmura contre mon oreille :
    – Merci.
     
    Moins d’un mois plus tard, le 10 juin 1152, je prenais la route de Blaye, abandonnant à jamais Henri et Aliénor à leur destin qui n’était plus le mien.
    J’avais épousé Jaufré en leur présence, discrètement, car une fille mère n’était au regard de l’Église pas de celles qui se doivent montrer, mais cela m’était égal. Merlin nous avait unis sur l’autel de pierre plus sûrement qu’elle ne le ferait jamais. Aussitôt le baptême d’Eloïn, Jaufré était retourné dans ses terres pour préparer ma venue et celle de notre enfant, dont Henri et Aliénor étaient parrain et marraine.
    À mes côtés chevauchaient Geoffroi de Rançon, qui avait tenu à m’accompagner, et Panperd’hu. Panperd’hu qui avait paru quelques jours après le départ de Jaufré, vieilli et fatigué, sortant péniblement d’une histoire d’amour qui l’avait misérablement aliéné, et contraint pour cela de prendre repos dans un monastère. À lui, je n’eus pas le cœur de cacher la vérité ; d’ailleurs, quand bien même je l’aurais fait, son amitié pour Jaufré aurait reconnu sans faillir celui qu’il avait perdu. Il pleura son frère retrouvé et resta à mes côtés pour me faire escorte et le rejoindre. J’allais vers mon nouveau destin, mais j’y allais sereine.
    Désormais, j’étais entière. La petite fée de Brocéliande était devenue une femme. Une vraie femme. Emportant contre son sein une autre petite fée de lumière.
    Un groupe d’oies sauvages nous survola dans un
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