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Le hussard

Le hussard

Titel: Le hussard
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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une énorme yeuse. Il allait
la dépasser quand il vit un cheval mort, portant la selle garnie de peau de
mouton caractéristique des hussards. Il s’approcha, intrigué ; peut-être
le cavalier était-il près de là, vivant ou non. Il découvrit un corps étendu
dans les buissons et s’approcha, le cœur battant. Ce n’était pas un Français.
Il avait l’allure d’un paysan, guêtres de cuir et veste grise. Il était couché
sur le ventre, les mains crispées sur une escopette. Il souleva la tête par les
cheveux et regarda son visage. Il vit des pattes épaisses, une barbe de trois
ou quatre jours, une peau jaune, couleur de la mort. Chose par ailleurs
logique, compte tenu de la plaie béante en pleine poitrine, d’où avait jailli
un torrent de sang, maintenant mêlé à la boue sous le corps. C’était
certainement un paysan, ou un franc-tireur. Il n’avait pas encore la rigidité
cadavérique, ce dont Frédéric déduisit qu’il n’était pas mort depuis longtemps.
    — Faut reconnaître qu’il n’est pas très joli, prononça
en français une voix derrière lui.
    Frédéric sursauta et lâcha la tête pour se retourner en levant
son sabre. À cinq mètres de là, adossé contre le tronc de l’yeuse, il y avait
un hussard. Il était à demi assis, en chemise, le dolman bleu couvrant son
ventre et ses jambes. Il devait avoir environ quarante ans, une forte moustache
et deux longues nattes qui lui tombaient sur les épaules. Ses yeux étaient d’un
gris cendré et sa peau très pâle. Son shako rouge était près de lui, le sabre
nu de l’autre côté, et il tenait dans la main droite un pistolet braqué sur
l’intrus.
    Sidéré, Frédéric se baissa pour s’agenouiller devant
l’inconnu.
    — 4 e  hussards, murmura-t-il d’une voix
à peine audible. 1 er  escadron.
    L’apparition inattendue éclata de rire, mais s’arrêta tout
de suite avec un rictus de douleur qui lui contracta le visage. Le hussard
ferma un moment les paupières, les rouvrit, cracha de côté et sourit en
abaissant son pistolet.
    — Très drôle ! 4 e  hussards, 1 er  escadron…
Moi aussi, je suis du 1 er  escadron, mon cher… J’étais du
1 er  escadron, oui. N’est-ce pas que c’est drôle ? Bien sûr
que ça l’est, sacré bordel de Dieu… Je ne t’aurais jamais identifié, dans cet
uniforme recouvert de merde. Je te connais ? Non, je crois que ta propre
mère ne te reconnaîtrait pas, avec ta tronche écrasée et enflée comme une outre
de pinard. Comment t’es-tu fait faire ça ?… Bon, dis-moi une bonne fois
qui tu es, au lieu de rester là, à me reluquer comme une cloche.
    Frédéric planta son sabre dans le sol, le long de sa cuisse
droite.
    — Glüntz. Sous-lieutenant Glüntz, 1 re  compagnie.
    Le hussard le regarda, intéressé.
    — Glüntz ? Le jeune sous-lieutenant ?
    Il hocha la tête comme s’il avait du mal à admettre qu’il
parlait bien à la même personne.
    — Sacredieu, je n’aurais jamais été capable de vous
reconnaître… D’où sortez-vous, avec une gueule pareille ?
    — Un lancier m’a donné la chasse. Nous avons perdu nos
chevaux et nous nous sommes battus par terre.
    — Je vois… C’est le lancier qui vous a fait ce joli
minois, pas vrai ? Quel dommage. Je me rappelle que vous étiez beau
garçon… Eh bien, mon lieutenant, excusez-moi si je ne me lève pas pour vous
saluer, mais ma santé laisse à désirer. Je m’appelle Jourdan, Armand Jourdan.
Vingt-deux ans de service. 2 e  compagnie.
    — Comment êtes-vous arrivé ici ?
    — Comme vous, je suppose. En galopant comme une âme qui
a le diable au cul, et trois ou quatre cavaliers à veste verte qui me
chatouillaient les fesses avec leurs lances… J’ai réussi à les semer en entrant
dans le bois. J’ai erré toute la nuit sur le pauvre Falu, la brave bête qui est
maintenant près de vous, morte d’un coup d’escopette. C’est l’enfant de putain
dont vous admiriez le visage tout à l’heure qui me l’a tué.
    Frédéric se retourna vers le cadavre de l’Espagnol.
    — On dirait un franc-tireur… C’est vous qui l’avez
descendu ?
    — Bien sûr que c’est moi. Ça s’est passé il y a environ
une heure ; Falu et moi, on essayait de rejoindre les lignes françaises,
au cas où elles existeraient toujours, quand ce quidam est sorti des buissons
et nous a tiré dessus à bout portant. Mon pauvre cheval a été le plus mal
loti… – Il contempla tristement
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