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Le hussard

Le hussard

Titel: Le hussard
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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l’animal mort. – C’était un bon et
fidèle ami.
    — Qu’est devenu l’escadron ?
    Le hussard haussa les épaules.
    — Je n’en sais pas plus long que vous. Possible qu’à
cette heure il n’existe plus. Ces lanciers nous ont bien eus, en nous laissant
passer et en nous chargeant ensuite sur le flanc. J’étais avec quatre
camarades, Jean-Paul, Didier, un autre que je ne connaissais pas, et ce sergent
petit et blond, Chaban… Ils les ont attrapés derrière moi, un par un. Ils ne
leur ont pas laissé la moindre chance. Avec les chevaux épuisés par trois
charges, c’était comme chasser des cerfs attachés à un piquet.
    Frédéric leva la tête et vit, à travers les plus hautes
branches, de grands espaces bleus.
    — Je me demande qui a gagné la bataille, dit-il,
songeur.
    — Qui peut le savoir ? répondit le hussard. En
tout cas ni vous ni moi, mon lieutenant.
    — Vous êtes blessé ?
    Son interlocuteur regarda Frédéric en silence pendant un
moment, puis un sourire sarcastique apparut au coin de ses lèvres.
    — Blessé n’est pas le mot exact, dit-il avec l’expression
d’un homme qui savoure une plaisanterie qu’il est le seul à comprendre. Vous
avez vu l’escopette du défunt ? – Du bout de son pistolet, il
indiquait l’arme. – Vous voyez cette baïonnette de cinq pouces de large
ajustée au canon… ? Eh bien, juste avant d’être expédié en enfer, ce
bougre d’enfant de putain engendré par un évêque a eu le temps de me l’enfoncer
dans les tripes.
    Tout en parlant, le hussard écarta le dolman de son ventre,
et Frédéric poussa un cri d’horreur. La baïonnette était entrée par la jambe
gauche un peu au-dessus du genou et avait déchiré latéralement toute la cuisse
et une partie du bas-ventre. Par l’effroyable plaie, pleine de caillots de
sang, on voyait luire des os, des nerfs et des morceaux d’intestins. Avec son
ceinturon et les lanières de la sabretache, le hussard avait comprimé la cuisse
dans une tentative inutile de resserrer les bords de la brèche.
    — Vous voyez, mon lieutenant, commenta-t-il avant de
remettre le dolman en place, vous voyez, je suis salement arrangé. Par chance,
je ne souffre pas trop ; j’ai tout le bas du corps comme endormi… Ce qui
est curieux, c’est qu’en m’entrant dedans, la baïonnette n’a pas dû toucher
d’artère ; sinon, il y aurait belle lurette que je me serais vidé de mon
sang.
    Frédéric était épouvanté par la froide résignation du
vétéran.
    — Vous ne pouvez pas rester ainsi, balbutia-t-il, sans
bien savoir ce qu’il pouvait faire pour le blessé. Il faut que je vous emmène
quelque part, trouver de l’aide. C’est… c’est affreux.
    Le hussard haussa de nouveau les épaules. Tout cela semblait
le laisser indifférent.
    — Vous ne pouvez rien faire. Ici, au moins, adossé à
cet arbre, je suis bien.
    — On pourra peut-être vous soigner…
    — Ne dites pas de bêtises, mon lieutenant. D’ici une
heure, avec toute cette saleté, c’est l’infection assurée. En vingt-deux ans,
j’ai vu un tas de cas semblables, et ce n’est pas à un grognard comme moi qu’il
faut raconter des histoires… Le vieil Armand sait bien quand les jeux sont
faits.
    — Si on ne vous prête pas secours, vous mourrez
irrémédiablement.
    — Avec ou sans secours, je suis cuit. Je n’ai pas envie
de me promener partout en marchant sur mes tripes. Je préfère être ici,
tranquille et à l’ombre. Vous feriez mieux de vous occuper de vos propres
affaires.
    Ils restèrent tous deux silencieux pendant un long moment.
Frédéric assis par terre, les bras autour des genoux ; le hussard les yeux
clos, la tête appuyée contre le tronc de l’yeuse, indifférent à la présence du
jeune homme. Finalement, Frédéric se leva, arracha son sabre du sol et
s’approcha du blessé.
    — Puis-je faire quelque chose pour vous avant de
partir ?
    Le hussard souleva lentement les paupières et regarda
Frédéric comme s’il était surpris de le voir encore là.
    — Oui, vous pouvez, dit-il avec effort en montrant le
pistolet qu’il tenait toujours dans ses doigts. Je l’ai déchargé contre ce
quidam, et j’aimerais avoir une balle au cas où un autre se présenterait…
Auriez-vous l’obligeance de le charger ? Il y a tout ce qu’il faut avec la
selle.
    Frédéric prit le pistolet par le long canon et se dirigea
vers le cheval mort. Il trouva un petit sac de poudre et des balles. Il
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