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Le hussard

Le hussard

Titel: Le hussard
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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l’Andalousie… ? En enfer, au diable, tous ! Il s’était
laissé piéger comme un imbécile. Eux aussi, pauvres bougres, ils s’étaient
laissé piéger. L’univers entier s’était laissé piéger : pour l’amour de
Dieu, n’y avait-il donc personne pour s’en rendre compte ? Alors qu’on lui
fiche la paix, à lui aussi. Il voulait seulement partir d’ici ! Qu’on lui
fiche la paix, par pitié… ! Il était en train de devenir fou et il n’avait
que dix-neuf ans !
    Le hussard agonisant avait raison. Les vieux soldats, il le
découvrait maintenant, avaient toujours raison. C’était pour ça qu’ils se
taisaient. Ils savaient, et la connaissance, la sagesse les rendaient
silencieux. Ils savaient, et au diable le reste. Mais ils ne le racontaient à
personne ; les vieux renards étaient malins. Oui, ils savaient que tout
homme est seul au milieu des autres, et que c’est à chacun d’apprendre pour son
compte. Chez eux, il n’y avait pas de bravoure, il y avait seulement de l’ indifférence. Ils étaient de l’autre côté du mur, au-delà du bien et du mal, comme le
grand-père de Frédéric, le vieux Glüntz qui s’était laissé mourir, fatigué
d’attendre la mort. Il n’y avait rien à faire, le chemin était effroyablement
clair. Honneur, Gloire, Patrie, Amour… Il existait un point de non-retour,
auquel on arrivait tôt ou tard, où tout devenait superflu, acquérait ses
limites précises, sa dimension exacte. Elle était là, plantée au milieu du
chemin, avec sa faux aussi mortelle qu’un escadron de lanciers. Il n’y avait
rien d’autre, pas d’issue pour fuir. C’était absurde de courir, absurde de
s’arrêter. Il ne restait qu’à marcher calmement à sa rencontre et en finir une
maudite fois pour toutes.
    Tout parut soudain évident à Frédéric, d’une simplicité
élémentaire. Il fit halte et poussa même une exclamation, surpris de n’avoir
pas été capable de s’en apercevoir plus tôt. Il arriva en titubant à la lisière
du bois et s’arrêta de nouveau, encore émerveillé de sa découverte, émacié par
la fièvre, défiguré et couvert de boue, les cheveux en désordre et les yeux
brillants comme des braises. Il contempla le bleu du ciel, les champs semés
d’oliviers couleur cendre, les oiseaux qui volaient sur ce qui avait été un
champ de bataille, et il éclata d’un rire formidable qui s’adressait à tout ce
qui l’entourait.
    Il s’assit sur une souche d’arbre, une branche morte dans
les mains, remuant d’un air absent la terre entre ses bottes boueuses. Et quand
il vit approcher de la lisière du bois un parti de paysans armés de faucilles,
de pieux et de couteaux, il se leva lentement en redressant la tête, regarda
leurs visages basanés et attendit, immobile et serein. Il pensait au grand-père
Glüntz, au hussard blessé sous la grande yeuse. Il ne ressentait plus qu’une
indifférence fatiguée.
     
    Majadahonda, juillet
1983
     
    FIN
     
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