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Le hussard

Le hussard

Titel: Le hussard
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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larmes
roulèrent sur ses joues. Il demeura ainsi quelque temps, laissant son uniforme
dégager des volutes de vapeur et attendant qu’il sèche un peu.
    Il courait un grave danger dans cette clairière, à la
lumière de l’incendie. N’importe qui, rôdant dans les parages, pouvait le
découvrir. Il pensa une fois de plus aux visages basanés et cruels des paysans,
des francs-tireurs, des soldats… Y avait-il une différence, dans cette maudite
Espagne ? Dans un effort de volonté, il s’écarta des flammes et alla
s’adosser au mur. Ce qui lui restait de raison lui disait que traîner là plus
longtemps était un suicide, mais son corps refusait toujours d’obéir. Il
s’attarda encore, regarda les flammes, puis l’obscurité du bois aux alentours.
    Il était très fatigué. La perspective de se remettre à
ramper dans le noir, parmi les broussailles ruisselantes de pluie, le fit
hésiter. Il observa son ombre que les flammes faisaient osciller, très longue,
à ses pieds. Il était perdu, sûrement voué à la mort. Près du feu, au moins, il
ne périrait pas de froid. Il recula sous l’averse de flammèches et de cendres,
et découvrit un endroit abrité, près d’un mur de pierre et de torchis, à cinq
ou six mètres du brasier. Il s’y recroquevilla, le sabre entre les jambes, posa
sa tête sur le sol et s’endormit.
    Il rêva qu’il chevauchait dans la campagne dévastée, sur
fond d’incendies lointains, au milieu d’un escadron de squelettes revêtus
d’uniformes de hussards qui tournaient vers lui leurs crânes décharnés pour le
contempler en silence. Dembrowsky, Philippo, Bourmont… Ils étaient tous là.
     
    *
     
    Le froid de l’aube le réveilla. L’incendie s’était éteint et
seuls restaient des tisons qui fumaient entre les cendres. Le ciel
s’éclaircissait à l’est et, au-dessus des cimes des arbres, brillaient quelques
étoiles. Il n’avait pas plu. Le bois demeurait dans l’ombre, mais on pouvait
déjà en distinguer les contours.
    Le grondement de la bataille semblait avoir disparu ;
le silence était total, saisissant. Frédéric se leva en frottant son corps
tuméfié. Le côté gauche de son visage était en charpie et le faisait souffrir
atrocement, y compris l’oreille qui ne captait plus aucun son ; juste un
bourdonnement interne qui semblait sourdre du plus profond du cerveau. La
paupière de l’œil gauche était également fermée par l’enflure. Il ne voyait
pratiquement rien de ce côté.
    Il tenta de s’orienter. Le soleil levant lui indiquait
l’est. Il voulut se souvenir de la disposition exacte du champ de bataille, où
le bois se situait à l’ouest, près du village que le 8 e  léger
avait attaqué la veille. En faisant des efforts pour se concentrer, il calcula
que les lignes françaises, au moment du désastre, se trouvaient au sud-est. La
situation pouvait s’être modifiée pendant la nuit, mais cela, il n’avait aucun
moyen de le savoir.
    Il se demanda qui avait été vainqueur.
    Il jeta un coup d’œil dans la direction du jour qui se
levait. Il allait marcher jusqu’à la lisière du bois en observant prudemment
les alentours et, de là, il essaierait de gagner les collines auxquelles,
l’après-midi précédente, s’adossaient les lignes françaises. Il n’était pas
très sûr de ses forces : son ventre le tourmentait en l’élançant
violemment, sa bouche et sa tête le brûlaient. Il avançait en trébuchant sur
les branches et les arbustes et se voyait obligé de s’arrêter régulièrement
pour s’asseoir dans la boue. Il marcha ainsi une heure. Peu à peu, la lumière
grisâtre de l’aube balaya les ombres et lui permit de distinguer plus
clairement ce qui l’entourait. En baissant la tête, il pouvait voir sa
poitrine, ses bras et ses jambes couverts d’une couche de glaise sèche et de
feuilles ; le dolman était déchiré, la moitié des boutons avait sauté. Il
avait les mains rugueuses et écorchées, les ongles brisés sales et noirs.
Soudain, il regarda le sabre qu’il tenait à la main et constata avec surprise
que ce n’était pas le sien. Il fit un effort de mémoire et se souvint de
l’Espagnol entre les jambes du cheval, essayant de tirer son sabre du fourreau.
Il éclata d’un rire de dément : il oubliait qu’il avait tué le lancier
avec son propre sabre. Le chasseur chassé par le chasseur qu’il voulait
chasser. Absurde jeu de mots. Ironie de la guerre.
    Une petite clairière entourait
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