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Le hussard

Le hussard

Titel: Le hussard
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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n’était pas obligatoire. Michel de Bourmont, par exemple, possédait
un sabre de 1786, plus lourd, qui avait appartenu à un sien parent mort à Iéna
et dont il savait se servir avec une remarquable dextérité. Tel était du moins
l’avis de ceux qui l’avaient vu le manier dans les ruelles étroites proches du
Palais royal de Madrid, quelques mois plus tôt, le sang ruisselant sur la
poignée et sur la manche du dolman, jusqu’au coude.
    Frédéric posa le sabre sur ses genoux et le regarda avec
fierté : le fil était impeccable. « Pour tailler dans le vif »,
avait dit son camarade. C’était vrai, mais son jeune propriétaire n’avait pas
encore eu l’occasion de se servir de son sabre dont l’acier était intact, sans
la moindre ébréchure ; vierge, si sa rigide éducation luthérienne lui
permettait de recourir mentalement à ce mot. Vierge de sang, comme Frédéric
lui-même l’était de femmes. Mais cette nuit, bien des heures avant l’aube, sous
un ciel espagnol chargé d’épais nuages qui cachaient les étoiles, les femmes
étaient très loin à l’horizon. L’immédiat avait la couleur du sang, c’était le
fracas de l’acier heurtant l’acier ennemi, les nuées de poussière soulevées par
le galop sur un champ de bataille. Telles étaient du moins les prévisions du
colonel Letac, le Breton arrogant, brutal et courageux qui commandait le
régiment :
    — Sachez, hum, messieurs, que ces paysans se
concentrent enfin : une charge, hein, une seule, et ils détaleront,
épouvantés, hum, à travers toute l’Andalousie…
    Frédéric aimait bien Letac. Le colonel avait une tête rude
de soldat avec des cicatrices de coups de sabre sur les joues ; un homme
de l’an II, l’Italie avec le Premier consul et Austerlitz, Iéna, Eylau,
Friedland… L’Europe de part en part, une belle carrière pour quelqu’un qui
avait commencé comme simple brigadier en garnison à Brest. Le colonel avait
causé à Frédéric une excellente impression quand, arrivant au régiment, il
était allé lui présenter ses respects. La brève entrevue avait eu lieu à
Aranjuez. Le jeune sous-lieutenant s’était mis sur son trente et un, sanglé
dans l’élégant uniforme de parade bleu indigo, pelisse écarlate et bottes
hautes, et, le cœur battant, il était allé prendre les ordres du chef du 4 e  hussards.
Letac l’avait reçu dans le bureau de sa résidence, un luxueux hôtel particulier
réquisitionné dont les fenêtres donnaient sur un gracieux méandre du Tage entre
les saules.
    « Comment avez-vous dit… ? Hum, sous-lieutenant
Glüntz, ah oui ! je vois. Eh bien, mon cher, c’est un plaisir de vous
accueillir parmi nous, vous vous y ferez vite, excellents camarades et tout le
reste, vous savez, la crème de la crème, tradition et tout ça… Parfait, le drap
de ce dolman, parfait : Paris, hein ? Oui, bien sûr. Eh bien, mon
jeune ami, allez vaquer à vos occupations… Honorez le régiment et tout ce qui
s’ensuit, ce sera votre famille, oui, je vous assure, et j’en suis le père…
Ah ! et surtout pas de duels, très mal vu, le sang chaud, la fougue et
tout ça, très blâmable, sauf si on n’a pas le choix, hum ! De l’honneur,
toujours de l’honneur, tout doit se passer entre gens de qualité, hum, en famille,
discrètement, vous m’avez, hum, compris. »
    Le colonel Letac avait la réputation d’être un excellent
cavalier et un soldat plein de bravoure, qualités de base exigibles de tout
hussard. Il menait le régiment d’une main ferme, combinant un certain
paternalisme avec une discipline efficace quoique flexible, cette dernière
condition étant des plus nécessaires pour contrôler quatre escadrons de
cavalerie légère qui, par tradition et par caractère, formaient l’un des plus
audacieux, des plus ingouvernables et des plus courageux régiments impériaux.
Le style provocant et indépendant des hussards, qui donnait tant de maux de
tête pendant les périodes de calme, se révélait extrêmement utile en campagne.
Letac gouvernait ce demi-millier de militaires avec une désinvolture que seule
expliquait sa longue expérience. Le colonel s’efforçait d’être ferme, juste et
raisonnable avec ses hommes, et l’on doit lui rendre cette justice qu’il y
parvenait souvent. Il avait aussi la réputation de se comporter avec cruauté
face à l’ennemi ; mais, s’agissant d’un hussard, nul n’aurait eu l’idée
que cela diminue en rien ses
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