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Le hussard

Le hussard

Titel: Le hussard
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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qualités.
     
    *
     
    Le fil du sabre était désormais en état d’accomplir de façon
irréprochable la besogne mortelle pour laquelle il avait été conçu. Frédéric
fit briller une dernière fois la flamme de la lampe le long de la lame, puis
glissa celle-ci délicatement dans le fourreau en caressant des doigts le N impérial frappé sur la garde en cuivre. Michel de Bourmont, qui continuait de
fumer en silence, surprit le geste et sourit sur son lit de camp. Il n’y
mettait aucun mépris ; Frédéric savait déjà comment interpréter chaque
sourire de son ami, qu’il s’agisse de la sombre – et souvent
dangereuse – demi-grimace qui découvrait en partie sa dentition blanche et
parfaite en lui donnant une lointaine ressemblance avec un loup sur le point
d’attaquer, ou de l’expression de camaraderie non exempte de tendresse que,
comme en ce moment, il réservait aux quelques rares personnes qu’il estimait.
Frédéric faisait partie de ces privilégiés.
    — C’est demain le grand jour, lui dit Bourmont dans une
bouffée de fumée, l’ultime vestige de son sourire flottant encore sur ses
lèvres. Tu es au courant : une charge, hein, qui fera détaler ces paysans,
hum, à travers toute l’Andalousie.
    L’imitation de Letac était parfaite et sans malice, et cette
fois ce fut au tour de Frédéric de sourire. Après quoi, tenant toujours le
sabre, il hocha affirmativement la tête.
    — Oui, répondit-il en s’efforçant de prendre le ton
détaché qui était supposé convenir à un hussard à la veille d’un combat où il
pourrait laisser sa peau. On dirait que les choses vont enfin devenir
sérieuses.
    — C’est le bruit qui court.
    — Espérons que, cette fois, il est fondé.
    Bourmont se redressa pour s’asseoir sur son lit. La
queue-de-cheval et les deux minces nattes blondes qui tombaient de ses tempes
jusqu’à ses épaules selon l’ancestrale tradition du corps étaient parfaitement
coiffées ; le dolman entrouvert – la veste bleue courte et ajustée du
4 e  hussards – laissait voir une chemise d’un blanc
immaculé ; sous le pantalon hongrois – également indigo – deux
éperons étincelants enserraient les bottes noires en cuir de veau,
impeccablement cirées. Une telle correction dans la mise ne laissait pas d’être
méritoire sous la toile de cette tente, plantée sur un plateau poussiéreux des
abords de Cordoue.
    — Tu l’as bien affûté ? s’enquit-il en désignant
le sabre de Frédéric du tuyau de sa pipe.
    — Je crois que oui.
    Bourmont sourit de nouveau. La fumée lui faisait plisser les
yeux, insolemment bleus. Frédéric observa le visage de son ami, où la lumière
de la lampe à huile projetait des ombres dansantes. C’était un beau garçon,
dont les manières et l’assurance révélaient immédiatement des origines
aristocratiques. Descendant d’une illustre famille du Midi, son géniteur avait
eu le bon sens de se convertir sans coup férir en citoyen Bourmont dès que les
premiers sans-culottes avaient commencé à le regarder avec des yeux torves. La
distribution bienvenue de certaines terres et richesses, une non moins
opportune profession de foi antiroyaliste, ainsi que de discrètes mais solides
amitiés parmi les plus célèbres guillotineurs de l’époque lui avaient permis de
tenir bon sans trop de dommages dans la tourmente qui s’était abattue sur la
France et d’assister, après avoir conservé l’intégralité de son anatomie et une
partie non négligeable de son patrimoine, à l’irrésistible ascension du parvenu
corse : ce dernier terme restant bien entendu réservé aux discrètes
conversations sur l’oreiller entre M. et M me  de Bourmont.
    Michel de Bourmont fils, en conséquence, était ce qu’avant
1789, et de nouveau depuis quelques années, on pouvait définir sans trop de
risques pour l’intéressé comme un « jeune homme bien né ». Il avait
embrassé la carrière des armes très tôt, la bourse bien remplie, apportant à sa
manière, dans ce torrent de vulgarité fanfaronne qu’était l’armée
napoléonienne, un certain style qui, grâce à ses qualités personnelles, sa
générosité, et une intuition particulière dans les relations avec autrui, loin
d’irriter ses égaux ou ses supérieurs, avait même fini par être considéré dans
le régiment comme étant de bon ton, voire souvent imité. Il avait pour lui sa
jeunesse – il venait d’avoir vingt ans en Espagne –, il
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