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Le hussard

Le hussard

Titel: Le hussard
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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inspirait la
sympathie, il était élégant, et son courage était reconnu. Tout cela avait
permis à Michel de Bourmont de récupérer sans susciter de soupçons excessifs la
particule si opportunément oubliée par son père aux jours funestes du tumulte
révolutionnaire. Par ailleurs, sa promotion au grade de lieutenant était
considérée comme acquise, et seules quelques semaines le séparaient du moment
où elle deviendrait effective.
    Pour Frédéric Glüntz, jeune sous-lieutenant nourri de tous
les vastes rêves de gloire que peut contenir une solide tête de dix-neuf ans,
le colonel Letac représentait ce qu’il aurait voulu devenir, tandis que Michel
de Bourmont était ce qu’il aurait voulu être, l’incarnation d’un rang personnel
et social que jamais il n’atteindrait, même s’il parvenait à faire fortune dans
sa vie future. Letac lui-même, qui en vingt ans de dures campagnes avait obtenu
tout ce qu’un soldat loyal et ambitieux pouvait souhaiter, ne posséderait
jamais cet air distingué de bonne souche, ce style particulier d’un garçon qui,
selon le mot du colonel en personne, « depuis son enfance, rendez-vous
compte, a fait pipi sur des tapis de Perse… ». Bourmont détenait tout cela
sans trop en tirer vanité – n’en pas tirer vanité du tout eût été trop
demander à un officier de hussards, le corps le plus élitiste, ostentatoire et
fanfaron de toute la cavalerie légère de l’Empereur. Voilà pourquoi le
sous-lieutenant Frédéric Glüntz, fils d’un simple bourgeois, l’admirait.
    Affectés comme sous-lieutenants dans le même escadron,
l’amitié qui s’était instaurée entre eux était celle qui peut unir deux jeunes
gens du même âge : cela était venu imperceptiblement, en partant d’une
sympathie mutuelle plus fondée sur l’instinct que sur des éléments rationnels.
Certes, le fait de partager la même tente en campagne avait contribué à
resserrer leurs liens ; un mois passé à affronter épaule contre épaule les
duretés de la vie militaire rapprochait solidement, surtout quand s’y mêlait
une affinité commune de goûts et de rêves juvéniles. Ils s’étaient fait de discrètes
confidences, et leur intimité s’était renforcée au point qu’ils avaient fini
par se tutoyer, trait significatif du genre de relations qu’ils entretenaient,
si l’on tient compte que, chez les officiers du 4 e  hussards, un
vouvoiement rigoureux était considéré comme la forme protocolaire de toute
conversation.
    Un événement dramatique avait consolidé définitivement cette
amitié. Il s’était produit quelques semaines auparavant, alors que le régiment
se trouvait en cantonnement à Cordoue où il se préparait à partir en
opérations. Les deux sous-lieutenants, libérés de leur service, étaient allés
se promener un soir dans les ruelles de la ville. La promenade était plaisante,
la température agréable, et ils firent plusieurs haltes pour boire un certain
nombre de pichets de vin espagnol. En passant devant une maison, ils eurent la
vision fugace, à travers une fenêtre éclairée, d’une charmante jeune fille, et
ils restèrent postés un long moment en face de la jalousie dans l’espoir de la
contempler de nouveau. Cela s’avéra impossible et, désappointés, ils décidèrent
d’entrer dans une taverne où le vin andalou se chargerait de dissiper le
souvenir de la belle inconnue. En franchissant le seuil, ils furent joyeusement
salués par une demi-douzaine d’officiers français, dont deux faisaient partie
du 4 e  hussards. Invités à s’unir à la société, ils le firent de
bonne grâce.
    La soirée s’écoula en discussions animées, arrosées de
pichets et de bouteilles qu’un tenancier hargneux leur servait sans arrêt. Ils
passèrent là quelques heures de détente, jusqu’au moment où un lieutenant de
chasseurs à cheval appelé Fucken, les coudes sur la table tachée de vin,
exprima diverses critiques sur la loyauté de certains rejetons de la vieille
aristocratie envers l’Empereur, loyauté que Fucken considérait comme hautement
discutable.
    « Je suis sûr, dit-il, que si les royalistes
parvenaient à lever une authentique armée et que nous devions les affronter en
rase campagne, plus d’un de ceux qui servent dans nos rangs passerait à
l’ennemi. Ils ont la fleur de lys dans le sang. »
    Même si cette assertion avait pris sa source dans les
vapeurs de l’alcool et une atmosphère chargée de fumée de
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