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Le hussard

Le hussard

Titel: Le hussard
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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Entre les
broussailles, il pouvait voir au loin les éclairs de la bataille qui se poursuivait
zébrer l’obscurité. Le crépitement des décharges était nettement audible ;
le combat grondait comme une tempête lointaine.
    Les détonations résonnaient parfois dans le bois, non loin
de lui, augmentant sa détresse. Il était incapable de déterminer où se
trouvaient les lignes françaises ; il devrait attendre le jour pour se
diriger vers elles. Il frissonna. La seule idée de tomber aux mains des
Espagnols l’angoissait au point de lui arracher des râles d’animal traqué. Il
devait sortir de là. Il devait retourner à la lumière, à la vie.
    Il buta contre des branches tombées et s’étala de tout son
long dans la glaise. Il se releva en pataugeant et rejeta en arrière ses
cheveux emmêlés et souillés pour scruter, apeuré, les ombres qui l’entouraient.
Dans chacune, il croyait découvrir un ennemi.
    Il avait intensément, atrocement froid. Ses mâchoires
tremblaient, ce qui augmentait la douleur de ses gencives sanglantes et
déchiquetées. De la langue, il palpa les dents qui lui restaient : il
avait perdu toute la moitié gauche, et il pouvait sentir, dans l’inflammation
monstrueuse, huit ou dix racines éclatées. La douleur s’étendait aux
maxillaires, au cou, au front. Tout son corps brûlait de fièvre ; s’il ne
trouvait pas un refuge quelconque, l’infection et le froid ne tarderaient pas à
avoir raison de lui.
    Il distingua une lueur entre les arbres. C’étaient peut-être
des Français, et il se dirigea vers elle en priant Dieu de ne pas tomber sur
une patrouille espagnole. La lumière augmentait à mesure qu’il se rapprochait ;
il s’agissait d’un incendie. Il avança en prenant toutes les précautions
possibles, observant prudemment les alentours.
    C’était une maison située dans une clairière. Malgré la
pluie récente, le feu était vif, dévorant le toit dans un tourbillon de flammèches
et se propageant aux branches de plusieurs arbres voisins. Les flammes
s’élevaient en arrachant au bois mouillé des jets de vapeur sifflante.
    Il y avait un groupe d’hommes près de la clairière. Frédéric
pouvait distinguer les shakos et les fusils qui se découpaient sur le
flamboiement de l’incendie. De l’endroit où il se trouvait, il ne pouvait
savoir s’ils étaient français ou espagnols, aussi resta-t-il tapi dans les
arbustes en serrant la poignée de son sabre. Il entendit le hennissement d’un cheval
et des voix confuses dans une langue qu’il ne réussit pas à identifier.
    Il n’osait pas s’aventurer plus près, de peur de faire du
bruit dans les broussailles. Même s’il s’agissait de Français, ils pouvaient
lui tirer dessus sans reconnaître l’uniforme sous l’épaisse couche de fange qui
lui couvrait le corps. Il attendit un long moment, indécis. Si c’étaient des
Espagnols et qu’ils l’attrapaient, il pouvait se considérer comme un homme
mort, et peut-être pas avec la rapidité souhaitable en de telles circonstances.
    Il était fatigué : vieux et fatigué. Il avait
l’impression d’être un vieillard qui aurait pris cinquante ans de plus en
quelques heures. La dernière journée défila devant ses yeux gonflés par la
fatigue comme s’il s’agissait d’événements remontant à un lointain passé dont
toute une vie le séparait. La tente du camp, Michel de Bourmont fumant sa pipe…
Michel ! À quoi lui avaient servi sa jeunesse, sa beauté, sa
bravoure ? Ce drapeau qui disparaissait au milieu d’un faisceau de lances
ennemies, cette plainte d’agonie de la trompette sonnant inutilement la
retraite, ces montures sans cavaliers qui erraient dans la vallée saturée de
boue sous la pluie… Au moins, se dit-il, en tombant de cheval, Michel avait-il
vu la mort en face, comme Philippo, comme Maugny, comme Laffont, comme les
autres. Ils n’étaient pas avec Frédéric tapis dans la fange, attendant de voir
à tout instant surgir de l’ombre une mort qui les prendrait en traître ;
une mort sale, obscure, indigne d’un hussard. Amer, le jeune homme trouva qu’il
avait fait une bien longue route pour finir écrasé dans la boue, comme un
chien.
    Mais attention : il était vivant ! Cette pensée,
en se frayant un chemin, finit par lui arracher un sourire, ou plutôt un rictus
féroce. Il était encore vivant, son sang battait toujours dans ses
veines ; son corps était brûlant, mais il le sentait brûler. Les
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