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Le hussard

Le hussard

Titel: Le hussard
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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arrêt, chevauchant
directement sur lui.
    Il roula sur lui-même pour chercher la protection d’un tronc
voisin. Les larmes coulaient sur ses joues couvertes de boue et de feuilles
quand il leva le pistolet qu’il avait empoigné des deux mains, visant la
poitrine du cavalier. À la vue de l’arme, celui-ci cabra son cheval. L’éclair
du coup de feu voila la vision de Frédéric, le pistolet lui sauta des mains. Un
hennissement, un coup sourd derrière les arbustes. Il vit les jambes du cheval
s’agiter en l’air, entraînant le cavalier dans la chute. Il avait raté sa
cible, il avait touché la monture. Avec un cri de désespoir, suffoquant dans
l’âcre odeur de poudre brûlée, il concentra ses dernières forces dans une
volonté sauvage de survivre. Il se leva comme il put, sauta par-dessus le corps
inerte du pauvre Noirot, s’élança entre les jambes de l’autre cheval et tomba
sur le lancier qui tentait de se redresser, la hampe de sa lance brisée et le
sabre à demi dégainé. Il frappa l’Espagnol au visage jusqu’à ce que le sang lui
jaillisse par le nez et les oreilles. Hors de lui, poussant des imprécations
incohérentes, il martela de ses poings serrés les yeux de son adversaire,
mordit la main qui tentait d’empoigner le sabre et entendit craquer les os et
les tendons sous ses dents. Étourdi par la chute et les coups, le lancier
essayait de protéger sa face ensanglantée avec ses bras, en gémissant comme un
fauve blessé. Ils roulèrent tous deux sur le sol, englués de boue, sous la
pluie qui continuait de goutter des branches. Avec une énergie que seul peut
donner le désespoir, Frédéric attrapa à deux mains le sabre du lancier à demi
sorti du fourreau et poussa pouce après pouce la lame nue vers la gorge de son
ennemi. Il y mettait toute la force qu’il pouvait rassembler, serrant les dents
jusqu’à faire craquer ses mâchoires, aspirant par saccades des bouffées d’air.
Les yeux déjà aveugles du lancier semblaient sur le point de sortir de leurs
orbites sous les sourcils lacérés, arrachés et sanglants. À tâtons, l’Espagnol
attrapa une pierre et l’écrasa sur la bouche de Frédéric. Celui-ci sentit
éclater ses gencives et sauter ses dents réduites en miettes. Il cracha des
dents et du sang tandis que dans un ultime et sauvage effort, avec un hurlement
inhumain qui jaillit du fond de ses entrailles, il portait le bord aiguisé du
sabre à la gorge de son ennemi, en lui imprimant un mouvement de va-et-vient,
jusqu’à ce qu’un flot visqueux lui éclabousse le visage et que les bras de
l’Espagnol s’affaissent, inertes, sur les côtés.
    Il resta là, à plat ventre sur le cadavre du lancier, cramponné
à celui-ci et sans forces pour faire un mouvement, laissant sourdre une plainte
rauque de ses lèvres déchiquetées. Il demeura ainsi un bon moment avec la
certitude qu’il était en train de mourir, grelottant de froid, une douleur
aiguë aux tempes et à la bouche irradiant dans toute la tête. Il ne pensait à
rien ; son cerveau chauffé au rouge était une masse incandescente et
martyrisée. Il s’entendit implorer Dieu de lui permettre de dormir, de perdre
connaissance ; mais le supplice de sa bouche écrasée le maintenait
éveillé.
     
    *
     
    Le corps de l’Espagnol était raide et froid. Frédéric se
glissa sur le côté et se retrouva sur le dos. Il ouvrit les yeux et vit le ciel
noir au-dessus des cimes des arbres qui se découpaient dans l’obscurité. La
nuit était venue.
    Au loin, le fracas de la bataille continuait. Il se redressa
au prix d’efforts douloureux et parvint à s’asseoir. Il regarda autour de lui
sans savoir quelle direction prendre. Son ventre vide lui causait des
élancements terribles et, à tâtons, il chercha la selle du lancier mort. Il ne
trouva rien, mais ses mains maladroites rencontrèrent le sabre. De toute
manière, sa bouche le brûlait comme s’il y avait un brasier dedans. Il se leva
en titubant, le sabre à la main, et entreprit de marcher sous les arbres, ses
bottes s’enlisant dans la boue. Peu lui importait où il allait ; son
unique obsession était de s’éloigner de ce lieu.

 
7. La gloire
    Il marcha sans but, en s’enfonçant dans le bois. Tremblant
et trempé, il s’arrêtait de temps en temps, s’adossait à un tronc d’arbre et
portait les mains à sa bouche ravagée qui le faisait gémir de douleur. La pluie
avait cessé, mais les branches continuaient à goutter doucement.
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