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Le hussard

Le hussard

Titel: Le hussard
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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dessus, lancèrent un dernier coup d’œil à leur
équipement et se dirigèrent vers le quartier des chevaux.
    L’escadron se rassemblait par compagnies à la lueur de torches
plantées en terre. Les cent huit hommes vérifiaient leurs montures, serraient
les sangles, s’assuraient du bon fonctionnement des carabines avant de les
glisser dans les fontes d’arçon ou de les passer en bandoulière. Frédéric et
les autres officiers ne disposaient pas de cette arme à feu ; il était
entendu qu’un officier de hussard devait s’arranger d’une paire de pistolets et
de son sabre.
    Franchot avait sellé Noirot, mais Frédéric n’en contrôla pas
moins les sangles qui fixaient la selle, souhaitant s’assurer lui-même que tout
était parfaitement en ordre. Au combat, les deux pouces qui séparaient chaque
trou de sangle pouvaient signifier la distance qui sépare la vie et la mort. Il
les ajusta de la façon qu’il crut la plus satisfaisante, puis se baissa pour
inspecter les fers de la bête. Enfin rassuré, il passa le bras sur la peau
d’ours qui garnissait la selle et, de la main, caressa la crinière de Noirot.
    Tout près de lui, Bourmont exécutait les mêmes mouvements.
Son cheval était superbe avec sa robe gris pommelé, et la selle était ornée
d’une peau de léopard qui avait certainement coûté une fortune à son
propriétaire. Pour une bonne part, la considération que portaient ses camarades
à un hussard était directement fonction de l’argent qu’il investissait dans le
harnachement de sa monture. Et Bourmont, tant par son sang que par son
caractère, n’était pas homme à regarder à la dépense.
    Quand il vit que Frédéric l’observait, il lui sourit. La
lumière des torches faisait briller les brandebourgs dorés sur le plastron
chamarré de son dolman.
    — Tout est en ordre ? demanda-t-il.
    — Tout est en ordre, répondit Frédéric, sentant
palpiter contre lui le flanc chaud de Noirot.
    — J’ai le pressentiment que nous aurons une belle
journée.
    Frédéric leva la tête en désignant le ciel noir.
    — Tu crois que les nuages s’écarteront sur le soleil de
la victoire ?
    Bourmont éclata de rire.
    — Même si les nuages demeurent, même s’il pleut des
pointes de lance, nous aurons une belle journée.
    Le commandant Berret passa à cheval, suivi du capitaine
Dembrowsky, du lieutenant Maugny et du trompette-major. Les hussards
demeuraient pied à terre entre leurs montures, bavardant et plaisantant, avec
l’animation propre à un tel moment. Les torches éclairaient de leur lumière
changeante les nattes et les féroces moustaches, les visages tannés couverts de
cicatrices des vétérans endurcis et les expressions pensives des nouvelles
recrues qui, comme Frédéric, n’avaient encore jamais livré de combat. Le jeune
homme les contempla longuement : il avait devant lui l’élite, la crème de
la cavalerie légère de l’armée française, cavaliers consommés, professionnels
de la guerre pour la plupart, qui avaient tissé leur propre légende en
chevauchant derrière les aigles impériales et en balayant de leurs sabres les
plus glorieux champs de bataille de toute l’Europe. Et lui, Frédéric Glüntz de
Strasbourg, dix-neuf ans, était l’un d’eux. Cette pensée le fit frissonner de
fierté.
    Venant de l’obscurité, de l’autre côté du mur de pierre, les
cris de vivandières qui passaient sur une charrette de l’intendance saluèrent
l’escadron. Les hussards répondirent par un chœur d’éclats de rire et des
plaisanteries de tout acabit. Frédéric regarda attentivement, mais ne put
percevoir que quelques silhouettes confuses qui s’éloignaient dans le noir,
accompagnées par le grincement des roues et le bruit des sabots de l’attelage.
    Entendre des voix féminines en des instants aussi solennels,
même s’il s’agissait de vivandières, avait, pensa-t-il, quelque chose de
déplacé. La cérémonie de l’escadron se préparant pour marcher à la bataille
imminente supposait une liturgie fermée, un rituel exclusivement mâle, dont
aurait dû être exclue toute présence du sexe opposé, même sous la forme de ces
voix éraillées par l’eau-de-vie qui passaient dans la nuit. Il eut une moue de
contrariété, sans cesser de caresser la crinière de Noirot. Il avait lu jadis
un livre sur l’histoire des chevaliers du Temple, l’ordre des moines-soldats
qui se battaient en Palestine contre les Sarrasins, guerriers rudes et
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